Les Quarante-cinq. Tome I | страница 63
Loignac essuya sa moustache, et se levant :
– Messieurs, dit-il, puisque le hasard réunit ici quarante-cinq compatriotes, vidons un verre de ce vin d’Espagne à la prospérité de tous les assistants.
Cette proposition souleva des applaudissements frénétiques.
– Ils sont ivres pour la plupart, dit Loignac à Ernauton : ce serait un bon moment pour faire raconter à chacun son histoire, mais le temps nous manque.
Puis haussant la voix :
– Holà ! maître Fournichon, dit-il, faites sortir d’ici tout ce qui est femmes, enfants et laquais.
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Lardille se leva en maugréant ; elle n’avait point achevé son dessert.
Militor ne bougea point.
– M’a-t-on entendu là-bas ? dit Loignac avec un coup d’œil qui ne souffrait pas de réplique… Allons, allons, à la cuisine, monsieur Militor !
Au bout de quelques instants, il ne restait plus dans la salle que les quarante-cinq convives et M. de Loignac.
– Messieurs, dit ce dernier, chacun de vous sait qui l’a fait venir à Paris, ou du moins s’en doute. Bon, bon, ne criez pas son nom ; vous le savez, cela suffit. Vous savez aussi que vous êtes venus pour lui obéir.
Un murmure d’assentiment s’éleva de toutes les parties de la salle ; seulement, comme chacun savait uniquement la chose qui le concernait et ignorait que son voisin fût venu, mu par la même puissance que lui, tous se regardèrent avec étonnement.
– C’est bien, dit Loignac ; vous vous regarderez plus tard, messieurs. Soyez tranquilles, vous avez le temps de faire connaissance. Vous êtes donc venus pour obéir à cet homme, reconnaissez-vous cela ?
– Oui ! oui ! crièrent les quarante-cinq, nous le reconnaissons.
– Eh bien, pour commencer, continua Loignac, vous allez partir sans bruit de cette hôtellerie pour venir habiter le logement qu’on vous a désigné.
– À tous ? demanda Sainte-Maline.
– À tous.
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– Nous sommes tous mandés, nous sommes tous égaux ici, continua Perducas dont les jambes étaient si incertaines qu’il lui fallut, pour maintenir son centre de gravité, passer un bras autour du cou de Chalabre.
– Prenez donc garde, dit celui-ci, vous froissez mon pourpoint.
– Oui, tous égaux, reprit Loignac, devant la volonté du maître.
– Oh ! oh ! monsieur, dit en rougissant Carmainges, pardon, mais on ne m’avait pas dit que M. d’Épernon s’appellerait mon maître.
– Attendez.
– Ce n’est point cela que j’avais compris.
– Mais attendez donc, maudite tête !
Il se fit de la part du plus grand nombre un silence curieux, et de la part de quelques autres un silence impatient.