Les Quarante-cinq. Tome I | страница 62




– Comment ! vous vendriez les armures de vos ancêtres ?

dit Sainte-Maline d’un ton railleur.


– Ah ! monsieur, dit Eustache de Miradoux, vous auriez tort ; ce sont des reliques sacrées.


– Bah ! dit Chalabre ; à l’heure qu’il est, mes ancêtres sont des reliques eux-mêmes, et n’ont plus besoin que de messes.


Le repas allait s’échauffant, grâce au vin de Bourgogne dont les épices de Fournichon accéléraient la consommation.


Les voix montaient à un diapason supérieur, les assiettes sonnaient, les cerveaux s’emplissaient de vapeurs au travers desquelles chaque Gascon voyait tout en rose, excepté Militor qui songeait à sa chute, et Carmainges qui songeait à son page.


– Voilà beaucoup de gens joyeux, dit Loignac à son voisin, qui justement était Ernauton, et ils ne savent pas pourquoi.


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– Ni moi non plus, répondit Carmainges. Il est vrai que, pour mon compte, je fais exception, et ne suis pas le moins du monde en joie.


– Vous avez tort, quant à vous, monsieur, reprit Loignac ; car vous êtes de ceux pour qui Paris est une mine d’or, un paradis d’honneurs, un monde de félicités.


Ernauton secoua la tête.


– Eh bien, voyons !


– Ne me raillez pas, monsieur de Loignac, dit Ernauton ; et vous qui paraissez tenir tous les fils qui font mouvoir la plupart de nous, faites-moi du moins cette grâce de ne point traiter le vicomte Ernauton de Carmainges en comédien de bois.


– Je vous ferai encore d’autres grâces que celle-là, monsieur le vicomte, dit Loignac en s’inclinant avec politesse ; je vous ai distingué au premier coup d’œil entre tous, vous dont l’œil est fier et doux, et cet autre jeune homme là-bas dont l’œil est sournois et sombre.


– Vous l’appelez ?


– M. de Sainte-Maline.


– Et la cause de cette distinction, monsieur, si cette demande n’est pas toutefois une trop grande curiosité de ma part ?


– C’est que je vous connais, voilà tout.


– Moi, fit Ernauton surpris ; moi, vous me connaissez ?


– Vous et lui, lui et tous ceux qui sont ici.


– C’est étrange.

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– Oui, mais c’est nécessaire.


– Pourquoi est-ce nécessaire ?


– Parce qu’un chef doit connaître ses soldats.


– Et que tous ces hommes…


– Seront mes soldats demain.


– Mais je croyais que M. d’Épernon…


– Chut ! Ne prononcez pas ce nom-là ici, ou plutôt ici ne prononcez aucun nom ; ouvrez les oreilles et fermez la bouche, et puisque j’ai promis de vous faire toutes grâces, prenez d’abord ce conseil comme un acompte.


– Merci, monsieur, dit Ernauton.