Dictionnaire amoureux de la France | страница 14



Quoi qu’il en fût de sa personne et de son œuvre, le regret lancinant d’un âge d’or n’a plus cessé de nous obséder. Napoléon III en a fait son beurre impérial — pendant vingt ans — et la geste gaullienne ne lui est pas moins redevable. Sans Napoléon, la posture impériale de Charlemagne, enluminée par Saint Louis, et la grandeur selon Louis XIV seraient trop loin de nous pour entretenir l’orgueil d’être français. Sans Napoléon, notre romantisme aurait tourné à l’eau tiède. Nous n’avons pas comme les Allemands le génie du fantastique, ou comme les Anglais celui du cosmopolitisme. Sans ce monstre d’égocentrisme, la France ne serait qu’un pays beau, riche et civilisé. Par lui et en lui, nous sommes « le veuf, l’inconsolé » d’une fausse madone putassière en diable, mais tellement désirable : l’Histoire, avec une majuscule dorée sur tranche.

Bovary (Emma)

Héroïne malgré elle car très égocentrique, peu maternelle et presque vulgaire dans ses fantasmes (le « luxe »). On lui pardonne, son rêve d’amour sonne juste en dépit du bric-à-brac de sensualité rustique, de mysticisme flou (l’enfance chez les religieuses), de velléités d’exotisme. En visant plus haut que son cœur, elle s’est tuée, car ses deux amants, eux, manquaient de cœur, et d’idéal. Comme tous les pauvres types que les Emma de jadis, de naguère et d’aujourd’hui prennent comme amants, parce que leur cynisme se trouve là au bon moment.

Ce qui m’émeut, et rend le « bovarysme » indémodable, c’est l’insatisfaction de la femme, captive d’un songe flou qui ne peut déboucher que sur l’adultère. Et elle est déçue, fatalement, ayant investi à corps perdu et hors sujet toutes les instances de sa sensibilité. C’est une « moderne » dont l’âme en charpie tente de retrouver l’unité « classique ». Tentative désespérée. Au tragique près (la mort, courageuse), le destin de la belle Emma, on le croise tous les jours, si on sait lire dans le regard des bourgeoises de province. Il faut juste un peu d’oisiveté, un reste d’éducation religieuse effilochée en imageries rose bonbon ou bleu pervenche. Les impatiences charnelles viennent de surcroît. Le cocu brave mec et bon père de famille, mais trop trivial, trop établi dans les aises d’un bonheur sympa, on en ramasse à la pelle après que son épouse s’est fait la malle avec son professeur de golf ou de yoga. Le positivisme à la Homais, qui jargonne « moderne » et ne pige rien, ça court les rues, les colloques et les Rotary. Yonville,