Dictionnaire amoureux de la France | страница 13



Le Retour des cendres illustre l’état d’esprit où nous pataugeons encore. Hiver 1840. Thiers a convaincu Louis-Philippe de rapatrier les restes de Napoléon pour filouter la nostalgie dont les feux épars menacent d’incendier le régime. Guizot a négocié la restitution à Londres. Joinville embarque pour Sainte-Hélène et fait ouvrir le cercueil. Miracle : le visage de l’Empereur n’a pas changé. Le revoilà sur les rivages de la France. Rochefort. Le Havre. Rouen. Au bord de la Seine, la ferveur populaire des gens de peu atteint des paroxysmes d’émotion. Des grognards hors d’âge ont revêtu ce qui restait de leur uniforme et se congèlent au garde-à-vous, de grosses larmes dans les yeux. Ils étaient à Friedland, à Leipzig. C’est le vieux Soult, président du Conseil, qui le premier s’incline devant le cercueil, à Courbevoie. Soult, héros sur les champs de bataille, médiocre combinard après Waterloo, rallié à toutes les gamelles, fût-ce pour réprimer les canuts de Lyon. C’est Moncey, gouverneur en titre des Invalides, aveugle et impotent, qui va accueillir Napoléon devant l’église Saint-Louis. Quoi de plus romanesque ! De plus poignant ! De plus désespérant aussi, car enfin il s’agit d’un cercueil, l’Empereur est mort depuis plus de vingt ans. Les campagnes d’Italie et d’Égypte remontent au siècle précédent et une génération devenue adulte sépare le temps présent de celui de l’épopée. « Maintenant nous pouvons mourir », conclut Moncey au soir d’une cérémonie qui a drainé un million de personnes entre l’Arc de triomphe et les Invalides, dont Balzac, Baudelaire et Hugo.

Deux siècles plus tard, ni l’Église ni l’État ne se sont associés à la commémoration du sacre, en 2004. On peut les comprendre. On comprend moins bien que nos autorités se soient abstenues de commémorer Austerlitz, l’année suivante, au motif que Napoléon rétablit l’esclavage à Saint-Domingue. Des faits aussi peu reluisants, son règne en abonde, et, en voyant le fort de Joux dans sa froidure, je ne suis pas fier de la façon dont Toussaint-Louverture a été traité. Napoléon n’aura pas été un héros pur. La veuve et l’orphelin n’étaient pas son souci. Il a saigné la France à blanc, inoculé aux peuples d’Europe le venin du nationalisme et offert à Metternich l’aubaine d’une revanche des têtes couronnées. Ou plutôt d’un sursis. Le bilan politique n’est pas fameux. L’homme n’était pas recommandable. Pas haïssable non plus : ses fragilités sont touchantes. Il a pleuré à la mort de Lannes ; il était sujet à la déprime (pas longtemps) et souffrait d’être cocu, comme tout un chacun.