Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 93
Et pour la troisième fois, Aurilly essaya de faire accepter l’or à Remy.
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– Certainement que je suis à vous, dit Remy en repoussant la main d’Aurilly ; mais encore faut-il que je sache quel est mon rôle dans les événements que vous préparez.
– Répondez-moi d’abord : la dame de là-haut est-elle la maîtresse de M. du Bouchage ou de son frère ?
Le sang monta au visage de Remy.
– Ni de l’un ni de l’autre, dit-il avec contrainte ; la dame de là-haut n’a pas d’amant.
– Pas d’amant ! mais alors c’est un morceau de roi. Une femme qui n’a pas d’amant ! morbleu ! monseigneur, nous avons trouvé la pierre philosophale.
– Donc, reprit Remy, monseigneur le duc d’Anjou est amoureux de ma maîtresse ?
– Oui.
– Et que veut-il ?
– Il veut l’avoir à Château-Thierry, où il se rend à marches forcées.
– Voilà, sur mon âme, une passion venue bien vite.
– C’est comme cela que les passions viennent à monseigneur.
– Je ne vois à cela qu’un inconvénient, dit Remy.
– Lequel ?
– C’est que ma maîtresse va s’embarquer pour l’Angleterre.
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– Diable ! voilà en quoi justement vous pouvez m’être utile : décidez-la.
– À quoi ?
– À prendre la route opposée.
– Vous ne connaissez pas ma maîtresse, monsieur ; c’est une femme qui tient à ses idées ; d’ailleurs, ce n’est pas le tout qu’elle aille en France au lieu d’aller à Londres. Une fois à Château-Thierry, croyez-vous qu’elle cède aux désirs du prince ?
– Pourquoi pas ?
– Elle n’aime pas le duc d’Anjou.
– Bah ! on aime toujours un prince du sang.
– Mais comment monseigneur le duc d’Anjou, s’il soupçonne ma maîtresse d’aimer M. le comte du Bouchage ou M. le duc de Joyeuse, a-t-il eu l’idée de l’enlever à celui qu’elle aime ?
– Bonhomme, dit Aurilly, tu as des idées triviales, et nous aurons de la peine à nous entendre, à ce que je vois ; aussi je ne discuterai pas ; j’ai préféré la douceur à la violence, et maintenant, si tu me forces à changer de conduite, eh bien !
soit, j’en changerai.
– Que ferez vous ?
– Je te l’ai dit, j’ai plein pouvoir du prince. Je te tuerai dans quelque coin, et j’enlèverai la dame.
– Vous croyez à l’impunité ?
– Je crois à tout ce que mon maître me dit de croire.
Voyons, décideras-tu ta maîtresse à venir en France ?
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– J’y tâcherai ; mais je ne puis répondre de rien.
– Et quand aurai-je la réponse ?
– Le temps de monter chez elle et de la consulter.
– C’est bien ; monte, je t’attends.
– J’obéis, monsieur.
– Un dernier mot, bonhomme : tu sais que je tiens dans ma main ta fortune et ta vie ?