Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 92
Remy sourit, mais ne répondit rien.
– Si je vous voulais du mal, à vous ou à votre maîtresse, continua Aurilly, je n’aurais que la main à lever.
– Oh ! oh ! fit Remy, peut-être me trompé-je, et est-ce du bien que vous lui voulez ?
– Sans doute.
– Expliquez-moi ce que vous désirez, alors.
– Mon ami, dit Aurilly, je désire faire votre fortune d’un seul coup, si vous me servez.
– Et si je ne vous sers pas ?
– En ce cas-là, puisque vous me parlez franchement, je vous répondrai avec une pareille franchise : en ce cas-là, je désire vous tuer…
– Me tuer ! ah ! fit Remy avec un sombre sourire.
– Oui, j’ai plein pouvoir pour cela.
Remy respira.
– Mais pour que je vous serve, dit-il, faut-il au moins que je connaisse vos projets.
– Les voici : vous avez deviné juste, mon brave homme ; je ne suis point au comte du Bouchage.
– Ah ! et à qui êtes-vous ?
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– Je suis à un plus puissant seigneur.
– Faites-y attention : vous allez mentir encore.
– Et pourquoi cela ?
– Au-dessus de la maison de Joyeuse, je ne vois pas beaucoup de maisons.
– Pas même la maison de France ?
– Oh ! oh ! fit Remy.
– Et voilà comme elle paie, ajouta Aurilly en glissant un des rouleaux d’or du duc d’Anjou dans la main de Remy.
Remy tressaillit au contact de cette main, et fit un pas en arrière.
– Vous êtes au roi ? demanda-t-il avec une naïveté qui eût fait honneur même à un homme plus rusé que lui.
– Non, mais à son frère, M. le duc d’Anjou.
– Ah ! très bien ; je suis le très humble serviteur de M. le duc.
– À merveille.
– Mais après ?
– Comment, après ?
– Oui, que désire monseigneur ?
– Monseigneur, très cher, dit Aurilly en s’approchant de Remy et en essayant pour la seconde fois de lui glisser le
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rouleau dans la main, monseigneur est amoureux de votre maîtresse.
– Il la connaît donc ?
– Il l’a vue.
– Il l’a vue ! s’écria Remy dont la main crispée s’appuya sur le manche de son couteau, et quand cela l’a-t-il vue ?
– Ce soir.
– Impossible, ma maîtresse n’a pas quitté sa chambre.
– Eh bien ! voilà justement ; le prince a agi comme un véritable écolier, preuve qu’il est véritablement amoureux.
– Comment a-t-il agi ? voyons, dites.
– Il a pris une échelle et a grimpé au balcon.
– Ah ! fit Remy en comprimant les battements tumultueux de son cœur ; ah ! voilà comment il a agi ?
– Il paraît qu’elle est fort belle, ajouta Aurilly.
– Vous ne l’avez donc pas vue, vous ?
– Non, mais d’après ce que monseigneur m’a dit, je brûle de la voir, ne fût-ce que pour juger de l’exagération que l’amour apporte dans un esprit sensé. Ainsi donc, c’est convenu, vous êtes avec nous.