Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 94




– Je le sais.


– Cela suffit, va, je m’occuperai des chevaux pendant ce temps.


– Ne vous hâtez pas trop.


– Bah ! je suis sûr de la réponse ; est-ce que les princes trouvent des cruelles ?


– Il me semblait que cela arrivait quelquefois.


– Oui, dit Aurilly, mais c’est chose rare, allez.


Et tandis que Remy remontait, Aurilly, comme s’il eût été certain de l’accomplissement de ses espérances, se dirigeait réellement vers l’écurie.


– Eh bien ? demanda Diane en apercevant Remy.


– Eh bien ! madame, le duc vous a vue.


– Et…


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– Et il vous aime.


– Le duc m’a vue ! le duc m’aime ! s’écria Diane ; mais tu es en délire, Remy.


– Non ; je vous dis ce qu’il m’a dit.


– Et qui t’a dit cela ?


– Cet homme ! cet Aurilly ! cet infâme !


– Mais s’il m’a vue, il m’a reconnue, alors.


– Si le duc vous eût reconnue, croyez-vous qu’Aurilly oserait se présenter devant vous et vous parler d’amour au nom du prince ? Non, le duc ne vous a pas reconnue.


– Tu as raison, mille fois raison, Remy. Tant de choses ont passé depuis six ans dans cet esprit infernal, qu’il m’a oubliée.

Suivons cet homme, Remy.


– Oui, mais cet homme vous reconnaîtra, lui.


– Pourquoi veux-tu qu’il ait plus de mémoire que son maître ?


– Oh ! parce que son intérêt à lui est de se souvenir, tandis que l’intérêt du prince est d’oublier ; que le duc oublie, lui, le sinistre débauché, l’aveugle, le blasé, l’assassin de ses amours, cela se conçoit. Lui, s’il n’oubliait pas, comment pourrait-il vivre ? Mais Aurilly n’aura pas oublié, lui ; s’il voit votre visage, il croira voir une ombre vengeresse, et vous dénoncera.


– Remy, je croyais t’avoir dit que j’avais un masque, je croyais que tu m’avais dit que tu avais un couteau.


– C’est vrai, madame, dit Remy, et je commence à croire que Dieu est d’intelligence avec nous pour punir les méchants.

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Alors appelant Aurilly du haut de l’escalier :


– Monsieur, dit-il, monsieur !


– Eh bien ? demanda Aurilly.


– Eh bien, ma maîtresse remercie M. le comte du Bouchage d’avoir ainsi pourvu à sa sûreté, et elle accepte avec reconnaissance votre offre obligeante.


– C’est bien, c’est bien, dit Aurilly, prévenez-la que les chevaux sont prêts.


– Venez, madame, venez, dit Remy, en offrant son bras à Diane.


Aurilly attendait au bas de l’escalier, lanterne en main, avide qu’il était de voir le visage de l’inconnue.


– Diable ! murmura-t-il, elle a un masque. Oh ! mais d’ici à Château-Thierry les cordons de soie seront usés… ou coupés.