Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 81
– Bien, après ?
– Monseigneur veut dire avant.
– Aurilly !
– Eh bien ! avant cette porte, monseigneur, on trouve un homme couché sur le seuil dans un grand manteau gris.
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– Oh ! oh ! M. du Bouchage se permet de mettre un gendarme à la porte de sa maîtresse ?
– Ce n’est point un gendarme, monseigneur, c’est quelque valet de la dame ou du comte lui-même.
– Et quelle espèce de valet ?
– Monseigneur, impossible de voir sa figure, mais ce que l’on voit, et parfaitement, c’est un large couteau flamand passé à sa ceinture et sur lequel il appuie une vigoureuse main.
– C’est piquant, dit le duc ; réveille-moi un peu ce gaillard-là, Aurilly.
– Oh ! par exemple, non, monseigneur.
– Tu dis ?
– Je dis que, sans compter ce qui pourrait m’arriver à l’endroit du couteau flamand, je ne vais pas m’amuser à me faire un mortel ennemi de MM. de Joyeuse, qui sont très bien en cour. Si nous eussions été roi des Pays-Bas, passe encore ; mais nous n’avons qu’à faire les gracieux, monseigneur, surtout avec ceux qui nous ont sauvés ; car les Joyeuse nous ont sauvés.
Prenez garde, monseigneur, si vous ne le dites pas, ils le diront.
– Tu as raison, Aurilly, dit le duc en frappant du pied ; toujours raison, et cependant…
– Oui, je comprends ; et cependant Votre Altesse n’a pas vu un seul visage de femme depuis quinze mortels jours. Je ne parle point de ces espèces d’animaux qui peuplent les polders ; cela ne mérite pas le nom d’hommes ni de femmes ; ce sont des mâles et des femelles, voilà tout.
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– Je veux voir cette maîtresse de du Bouchage, Aurilly ; je veux la voir, entends-tu ?
– Oui, monseigneur, j’entends.
– Eh bien, réponds-moi alors.
– Eh bien, monseigneur, je réponds que vous la verrez peut-être ; mais pas par la porte, au moins.
– Soit, dit le prince, mais si je ne puis la voir par la porte, je la verrai par la fenêtre, au moins.
– Ah ! voilà une idée, monseigneur, et la preuve que je la trouve excellente, c’est que je vais vous chercher une échelle.
Aurilly se glissa dans la cour de la maison et alla se heurter au poteau d’un appentis sous lequel les gendarmes avaient abrité leurs chevaux.
Après quelques investigations, Aurilly trouva ce qu’on trouve presque toujours sous un appentis, c’est-à-dire une échelle.
Il la manœuvra au milieu des hommes et des animaux assez habilement pour ne pas réveiller les uns, et ne pas recevoir de coups de pied des autres, et alla l’appliquer dans la rue à la muraille extérieure.