Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 82




Il fallait être prince et souverainement dédaigneux des scrupules vulgaires, comme le sont en général les despotes de droit divin, pour oser, en présence du factionnaire se promenant de long en large devant la porte où étaient enfermés les prisonniers, pour oser accomplir une action aussi audacieusement insultante à l’égard de du Bouchage, que celle que le prince était en train d’accomplir.


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Aurilly le comprit et fit observer au prince la sentinelle qui, ne sachant pas quels étaient ces deux hommes, s’apprêtait à leur crier : Qui vive !


François haussa les épaules et marcha droit au soldat.


Aurilly le suivit.


– Mon ami, dit le prince, cette place est le point le plus élevé du bourg, n’est-ce pas ?


– Oui, monseigneur, dit la sentinelle qui, reconnaissant François, lui fit le salut d’honneur, et n’étaient ces tilleuls qui gênent la vue, à la lueur de la lune, on découvrirait une partie de la campagne.


– Je m’en doutais, dit le prince ; aussi ai-je fait apporter cette échelle pour regarder par-dessus. Monte donc, Aurilly, ou plutôt, non, laisse-moi monter ; un prince doit tout voir par lui-même.


– Ou dois-je appliquer l’échelle, monseigneur ? demanda l’hypocrite valet.


– Mais, au premier endroit venu, contre cette muraille, par exemple.


L’échelle appliquée, le duc monta.


Soit qu’il se doutât du projet du prince, soit par discrétion naturelle, le factionnaire tourna la tête du côté opposé au prince.


Le prince atteignit le haut de l’échelle ; Aurilly demeura au pied.


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La chambre dans laquelle Henri avait enfermé Diane était tapissée de nattes et meublée d’un grand lit de chêne, avec des rideaux de serge, d’une table et de quelques chaises.


La jeune femme, dont le cœur paraissait soulagé d’un poids énorme depuis cette fausse nouvelle de la mort du prince, qu’elle avait apprise au camp des gendarmes d’Aunis, avait demandé à Remy un peu de nourriture, que celui-ci avait montée avec l’empressement d’une joie indicible.


Pour la première fois alors, depuis l’heure où Diane avait appris la mort de son père, Diane avait, goûté un mets plus substantiel que le pain ; pour la première fois, elle avait bu quelques gouttes d’un vin du Rhin que les gendarmes avaient trouvé dans la cave et avaient apporté à du Bouchage.


Après ce repas, si léger qu’il fût, le sang de Diane, fouetté par tant d’émotions violentes et de fatigues inouïes, afflua plus impétueux à son cœur, dont il semblait avoir oublié le chemin ; Remy vit ses yeux s’appesantir et sa tête se pencher sur son épaule.