Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 76
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– Monseigneur, Votre Altesse sera obéie rigoureusement, et nul ne saura, excepté ces messieurs, qu’elle nous fait l’honneur de demeurer parmi nous.
– Et ces messieurs me garderont le secret ? demanda le duc.
Tout le monde s’inclina.
– Allez à votre visite, comte.
Du Bouchage sortit de la salle.
Il n’avait fallu, comme on le voit, qu’un instant à ce vagabond, à ce fugitif, à ce vaincu, pour redevenir fier, insouciant et impérieux.
Commander à cent hommes ou à cent mille, c’est toujours commander ; le duc d’Anjou en eût agi de même avec Joyeuse.
Les princes ne demandent jamais ce qu’ils croient mériter, mais ce qu’ils croient qu’on leur doit.
Tandis que du Bouchage exécutait l’ordre avec d’autant plus de ponctualité qu’il voulait paraître moins dépité d’obéir, François questionnait, et Aurilly, cette ombre du maître, laquelle suivait tous ses mouvements, questionnait aussi.
Le duc trouvait étonnant qu’un homme du nom et du rang de du Bouchage eût consenti à prendre ainsi le commandement d’une poignée d’hommes, et se fût chargé d’une expédition aussi périlleuse. C’était en effet le poste d’un simple enseigne et non celui du frère d’un grand-amiral.
Chez le prince tout était soupçon, et tout soupçon avait besoin d’être éclairé.
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Il insista donc, et apprit que le grand-amiral, en mettant son frère à la tête de la reconnaissance, n’avait fait que céder à ses pressantes instances.
Celui qui donnait ce renseignement au duc, et qui le donnait sans mauvaise intention aucune, était l’enseigne des gendarmes d’Aunis, lequel avait recueilli du Bouchage, et s’était vu enlever son commandement, comme du Bouchage venait de se voir enlever le sien par le duc.
Le prince avait cru apercevoir un léger sentiment d’irritabilité dans le cœur de l’enseigne contre du Bouchage, voilà pourquoi il interrogeait particulièrement celui-ci.
– Mais, demanda le prince, quelle était donc l’intention du comte, qu’il sollicitait avec tant d’instance un si pauvre commandement ?
– Rendre service à l’armée d’abord, dit l’enseigne, et de ce sentiment je n’en doute pas.
– D’abord, avez-vous dit ? – quel est l’ensuite, monsieur ?
– Ah ! monseigneur, dit l’enseigne, je ne sais pas.
– Vous me trompez ou vous vous trompez vous-même, monsieur ; vous savez.
– Monseigneur, je ne puis donner, même à Votre Altesse, que les raisons de mon service.
– Vous le voyez, dit le prince en se retournant vers les quelques officiers demeurés à table, j’avais parfaitement raison de me tenir caché, messieurs, puisqu’il y a dans mon armée des secrets dont on m’exclut.