Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 68




À trois lieues de Rupelmonde, les gendarmes rencontrèrent une demi-douzaine de soldats français accroupis devant un feu de tourbe : les malheureux faisaient cuire un quartier de chair de cheval, seule nourriture qu’ils eussent rencontrée depuis deux jours.


L’approche des gendarmes causa un grand trouble parmi les convives de ce triste festin : deux ou trois se levèrent pour fuir ; mais l’un d’eux resta assis et les retint en disant :


– Eh bien ! s’ils sont ennemis, ils nous tueront, et au moins la chose sera finie tout de suite.


– France ! France ! cria Henri qui avait entendu ces paroles ; venez à nous, pauvres gens.


Ces malheureux, en reconnaissant des compatriotes, accoururent à eux ; on leur donna des manteaux, un coup de genièvre ; on y ajouta la permission de monter en croupe derrière les valets.


Ils suivirent ainsi le détachement.


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Une demi-lieue plus loin, on trouva quatre chevau-légers avec un cheval pour quatre ; ils furent recueillis également.


Enfin, on arriva sur les bords de l’Escaut : la nuit était profonde ; les gendarmes trouvèrent là deux hommes qui tâchaient, en mauvais flamand, d’obtenir d’un batelier le passage sur l’autre rive.


Celui-ci refusait avec des menaces.


L’enseigne parlait le hollandais. Il s’avança doucement en tête de la colonne, et tandis que celle-ci faisait halte, il entendit ces mots :


– Vous êtes des Français, vous devez mourir ici ; vous ne passerez pas.


L’un des deux hommes lui appuya un poignard sur la gorge, et, sans se donner la peine d’essayer à lui parler sa langue, il lui dit en excellent français :


– C’est toi qui mourras ici, tout Flamand que tu es, si tu ne nous passes pas à l’instant même.


– Tenez ferme, monsieur, tenez ferme ! cria l’enseigne, dans cinq minutes nous sommes à vous.


Mais pendant le mouvement que les deux Français firent en entendant ces paroles, le batelier détacha le nœud qui retenait sa barque au rivage et s’éloigna rapidement en les laissant sur le bord.


Mais un des gendarmes, comprenant de quelle utilité pouvait être le bateau, entra dans le fleuve avec son cheval et abattit le batelier d’un coup de pistolet.


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Le bateau sans guide tourna sur lui-même ; mais comme il n’avait pas encore atteint le milieu du fleuve, le remous le repoussa vers la rive.


Les deux hommes s’en emparèrent aussitôt qu’il toucha le bord, et s’y logèrent les premiers.


Cet empressement à s’isoler étonna l’enseigne.