Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 32




La servante jeta de la paille aux chevaux, referma la porte de l’écurie, rentra dans la cuisine, approcha un escabeau du feu, moucha avec ses doigts la massive chandelle, et se rendormit.


Pendant ce temps, Remy, qui s’était placé en embuscade, guettait le passage du voyageur dont il avait entendu galoper le cheval.


Il le vit entrer dans le bourg, marcher au pas en prêtant l’oreille attentivement ; puis, arrivé à la ruelle, le cavalier vit la lanterne, et parut hésiter s’il passerait outre ou s’il se dirigerait de ce côté.


Il s’arrêta tout à fait à deux pas de Remy, qui sentit sur son épaule le souffle de son cheval.


Remy porta la main à son couteau.


– C’est bien lui, murmura-t-il, lui de ce côté, lui qui nous suit encore. Que nous veut-il ?


Le voyageur croisa les deux bras sur sa poitrine, tandis que son cheval soufflait avec effort en allongeant le cou.


Il ne prononçait pas une seule parole ; mais, au feu de ses regards, dirigés tantôt en avant, tantôt en arrière, tantôt dans la ruelle, il n’était point difficile de deviner qu’il se demandait s’il

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fallait retourner en arrière, pousser en avant, ou se diriger vers l’hôtellerie.


– Ils ont continué, murmura-t-il à demi-voix, continuons.


Et, rendant les rênes à son cheval, il continua son chemin.


– Demain, se dit Remy, nous changerons de route.


Et il rejoignit sa compagne, qui l’attendait impatiemment.


– Eh bien ! dit-elle tout bas, nous suit-on ?


– Personne : je me trompais. Il n’y a que nous sur la route, et vous pouvez dormir en toute sécurité.


– Oh ! je n’ai pas sommeil, Remy, vous le savez bien.


– Au moins vous souperez, madame, car hier déjà vous ne prîtes rien.


– Volontiers, Remy.


On réveilla la pauvre servante, qui se leva, cette seconde fois, avec le même air de bonne humeur que la première, et qui apprenant ce dont il était question, tira du buffet un quartier de porc salé, un levraut froid et des confitures ; puis elle apporta un pot de bière de Louvain écumante et perlée.


Remy se mit à table près de sa maîtresse.


Alors celle-ci emplit à moitié un verre à anse de cette bière dont elle se mouilla les lèvres, rompit un morceau de pain dont elle mangea quelques miettes, puis se renversa sur sa chaise en repoussant le verre et le pain.


– Comment ! vous ne mangez plus, mon gentilhomme ?

demanda la servante.

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– Non, j’ai fini, merci.


La servante, alors, se mit à regarder Remy qui ramassait le pain rompu par sa maîtresse, le mangeait lentement et buvait un verre de bière.