Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 24
Le prince avait vu l’incendie de la flotte comme une lueur lointaine ; il avait entendu les détonations des canons et les explosions des bâtiments sans soupçonner autre chose qu’un combat acharné, qui de ce côté devait naturellement se terminer par la victoire de Joyeuse : le moyen de croire que quelques vaisseaux flamands luttassent avec une flotte française !
Il s’attendait donc à chaque instant à une diversion de la part de Joyeuse, lorsque tout à coup on vint lui dire que la flotte était détruite et que Joyeuse et ses marins chargeaient au milieu des Flamands.
Dès lors le prince commença de concevoir une grande inquiétude : la flotte, c’était la retraite et par conséquent la sûreté de l’armée.
Le duc envoya l’ordre à la cavalerie calviniste de tenter une nouvelle charge, et cavaliers et chevaux épuisés se rallièrent pour se ruer de nouveau sur les Anversois.
On entendait la voix de Joyeuse crier au milieu de la mêlée : Tenez ferme, monsieur de Saint-Aignan ! France !
France !
Et, comme un faucheur entamant un champ de blé, son épée tournoyait dans l’air et s’abattait, couchant devant lui sa moisson d’hommes ; le faible favori, le sybarite délicat, semblait
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avoir revêtu avec sa cuirasse la force fabuleuse de l’Hercule néméen.
Et l’infanterie qui entendait cette voix dominant la rumeur, qui voyait cette épée éclairant la nuit, l’infanterie reprenait courage, et, comme la cavalerie, faisait un nouvel effort et revenait au combat.
Mais alors l’homme qu’on appelait monseigneur sortit de la ville sur un beau cheval noir.
Il portait des armes noires, c’est-à-dire le casque, les brassards, la cuirasse et les cuissards d’acier bruni ; il était suivi de cinq cents cavaliers bien montés qu’avait mis sous ses ordres le prince d’Orange.
De son côté, Guillaume le Taciturne, par la porte parallèle, sortait avec son infanterie d’élite, qui n’avait pas encore donné.
Le cavalier aux armes noires courut au plus pressé : c’était à l’endroit où Joyeuse combattait avec ses marins.
Les Flamands le reconnaissaient et s’écartaient devant lui en criant joyeusement : Monseigneur ! monseigneur ! Joyeuse et ses marins sentirent l’ennemi fléchir ; ils entendirent ces cris, et tout à coup ils se trouvèrent en face de cette nouvelle troupe, qui leur apparaissait subitement comme par enchantement.
Joyeuse, poussa son cheval sur le cavalier noir, et tous deux se heurtèrent avec un sombre acharnement.