Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 23
Son sang-froid semblait avoir rendu le sang-froid à tout le monde : chacun de ses marins avait à la main sa hache ou son sabre d’abordage.
Avant qu’il eût atteint les rives du fleuve, la galère amirale sautait, éclairant d’un côté la silhouette de la ville, et de l’autre l’immense horizon du fleuve qui allait, en s’élargissant toujours, se perdre dans la mer.
Pendant ce temps, l’artillerie des remparts avait éteint son feu : non pas que le combat eût diminué de rage, mais au
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contraire parce que Flamands et Français en étant venus aux mains, on ne pouvait plus tirer sur les uns sans tirer sur les autres.
La cavalerie calviniste avait chargé à son tour, faisant des prodiges ; devant le fer de ses cavaliers, elle ouvre ; sous les pieds de ses chevaux, elle broie ; mais les Flamands blessés éventrent les chevaux avec leurs larges coutelas.
Malgré cette charge brillante de la cavalerie, un peu de désordre se met dans les colonnes françaises, et elles ne font plus que se maintenir au lieu d’avancer, tandis que des portes de la ville sortent incessamment des bataillons frais qui se ruent sur l’armée du duc d’Anjou.
Tout à coup, une grande rumeur se fait entendre presque sous les murailles de la ville. Les cris : Anjou ! Anjou ! France !
France ! retentissent sur les flancs des Anversois, et un choc effroyable ébranle toute cette masse si serrée, par la simple impulsion de ceux qui la poussent, que les premiers sont braves parce qu’ils ne peuvent faire autrement.
Ce mouvement, c’est Joyeuse qui le cause : ces cris, ce sont les matelots qui les poussent : quinze cents hommes armés de haches et de coutelas et conduits par Joyeuse auquel on a amené un cheval sans maître, sont tombés tout à coup sur les Flamands ; ils ont à venger leur flotte en flammes et deux cents de leurs compagnons brûlés ou noyés.
Ils n’ont pas choisi leur rang de bataille, ils se sont élancés sur le premier groupe qu’à son langage et à son costume ils ont reconnu pour un ennemi.
Nul ne maniait mieux que Joyeuse sa longue épée de combat ; son poignet tournait comme un moulinet d’acier, et chaque coup de taille fendait une tête, chaque coup de pointe trouait un homme.
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Le groupe de Flamands sur lequel tomba Joyeuse fut dévoré comme un grain de blé par une légion de fourmis.
Ivres de ce premier succès, les marins poussèrent en avant.
Tandis qu’ils gagnaient du terrain, la cavalerie calviniste, enveloppée par ces torrents d’hommes, en perdait peu à peu ; mais l’infanterie du comte de Saint-Aignan continuait de lutter corps à corps avec les Flamands.