Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 17
– Oui, monseigneur, c’est cela même. Comment connaissez-vous tous ces détails ?
L’inconnu sourit.
– Je les connais, comme vous voyez, dit-il ; c’est là qu’est le sort de la bataille.
– Alors, dit le bourgmestre, il faut envoyer du renfort à nos braves marins.
– Au contraire, vous pouvez disposer encore de quatre cents hommes qui étaient là ; vingt hommes intelligents, braves et dévoués suffiront.
Les Anversois ouvrirent de grands yeux.
– Voulez-vous, dit l’inconnu, détruire la flotte française tout entière aux dépens de vos six vieux vaisseaux et de vos trente vieilles barques ?
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– Hum ! firent les Anversois en se regardant, ils n’étaient pas déjà si vieux nos vaisseaux, elles n’étaient pas déjà si vieilles nos barques.
– Eh bien ! estimez-les, dit l’inconnu, et l’on vous en paiera la valeur.
– Voilà, dit tout bas le Taciturne à l’inconnu, les hommes contre lesquels j’ai chaque jour à lutter. Oh ! s’il n’y avait que les événements, je les eusse déjà surmontés.
– Voyons, messieurs, reprit l’inconnu en portant la main à son aumônière, qui regorgeait, comme nous l’avons dit, estimez, mais estimez vite ; vous allez être payés en traites sur vous-mêmes, j’espère que vous les trouverez bonnes.
– Monseigneur, dit le bourgmestre, après un instant de délibération avec les quarteniers, les dizainiers et les centeniers, nous sommes des commerçants et non des seigneurs ; il faut donc nous pardonner certaines hésitations, car notre âme, voyez-vous, n’est point en notre corps, mais en nos comptoirs.
Cependant, il est certaines circonstances où, pour le bien général, nous savons faire des sacrifices. Disposez donc de nos barrages comme vous l’entendrez.
– Ma foi, monseigneur, dit le Taciturne, c’est affaire à vous.
Il m’eût fallu six mois à moi pour obtenir ce que vous venez d’enlever en dix minutes.
– Je dispose donc de votre barrage, messieurs ; mais voici de quelle façon j’en dispose :
Les Français, la galère amirale en tête, vont essayer de forcer le passage. Je double les chaînes du barrage, en leur laissant assez de longueur pour que la flotte se trouve engagée au milieu de vos barques et de vos vaisseaux. Alors, de vos barques et de vos vaisseaux, les vingt braves que j’y ai laissés jettent des grappins, et, les grappins jetés, ils fuient dans une
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barque après avoir mis le feu à votre barrage chargé de matières inflammables.
– Et, vous l’entendez, s’écria le Taciturne, la flotte française brûle tout entière.