Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 16




– Mais, vous devinez donc, monseigneur ? dirent les bourgeois.


– Pas plus que monseigneur le prince d’Orange, qui est en toutes choses de mon avis, je suis sûr. Mais, comme Son Altesse, je suis bien renseigné, et, surtout, je connais ceux qui sont là de l’autre côté.


Et sa main désignait les polders.


– De sorte, continua-t-il, qu’il m’eût bien étonné de ne pas les voir attaquer cette nuit.

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Donc, tenez-vous prêts, messieurs ; car, si vous leur en donnez le temps, ils attaqueront sérieusement.


– Ces messieurs me rendront la justice d’avouer qu’avant votre arrivée, monseigneur, je leur tenais juste le langage que vous leur tenez maintenant.


– Mais, demanda le bourgmestre, comment monseigneur croit-il que les Français vont attaquer ?


– Voici les probabilités : l’infanterie est catholique, elle se battra seule. Cela veut dire qu’elle attaquera d’un côté ; la cavalerie est calviniste, elle se battra seule aussi. Deux côtés. La marine est à M. de Joyeuse, il arrive de Paris ; la cour sait dans quel but il est parti, il voudra avoir sa part de combat et de gloire. Trois côtés.


– Alors, faisons trois corps, dit le Bourgmestre.


– Faites-en un, messieurs, un seul, avec tout ce que vous avez de meilleurs soldats, et laissez ceux dont vous doutez en rase campagne, à la garde de vos murailles. Puis, avec ce corps, faites une vigoureuse sortie au moment où les Français s’y attendront le moins. Ils croient attaquer : qu’ils soient prévenus et attaqués eux-mêmes ; si vous les attendez à l’assaut, vous êtes perdus, car à l’assaut le Français n’a pas d’égal, comme vous n’avez pas d’égaux, messieurs, quand, en rase campagne, vous défendez l’approche de vos villes.


Le front des Flamands rayonna.


– Que disais-je, messieurs ? fit le Taciturne.


– Ce m’est un grand honneur, dit l’inconnu, d’avoir été, sans le savoir, du même avis que le premier capitaine du siècle.


Tous deux s’inclinèrent courtoisement.

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– Donc, poursuivit l’inconnu, c’est chose dite, vous faites une furieuse sortie sur l’infanterie et la cavalerie. J’espère que vos officiers conduiront cette sortie de façon que vous repousserez les assiégeants.


– Mais leurs vaisseaux, leurs vaisseaux, dit le bourgmestre, ils vont forcer notre barrage ; et comme le vent est nord-ouest, ils seront au milieu de la ville dans deux heures.


– Vous avez vous-mêmes six vieux navires et trente barques à Sainte-Marie, c’est-à-dire à une lieue d’ici, n’est-ce pas ? C’est votre barricade maritime, c’est votre chaîne fermant l’Escaut.