Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 18




– Oui, tout entière, dit l’inconnu ; alors, plus de retraite par mer, plus de retraite à travers les polders, car vous lâchez les écluses de Malines, de Berchem, de Lier, de Duffel et d’Anvers.

Repoussés d’abord par vous, poursuivis par vos digues rompues, enveloppés de tous les côtés par cette marée inattendue et toujours montante, par cette mer qui n’aura qu’un flux et pas de reflux, les Français seront tous noyés, abîmés, anéantis.


Les officiers poussèrent un cri de joie.


– Il n’y a qu’un inconvénient, dit le prince.


– Lequel, monseigneur ? demanda l’inconnu.


– C’est qu’il faudrait toute une journée pour expédier les ordres différents aux différentes villes, et que nous n’avons qu’une heure.


– Une heure suffit, répondit celui qu’on appelait monseigneur.


– Mais qui préviendra la flottille ?


– Elle est prévenue.


– Par qui ?


– Par moi. Si ces messieurs avaient refusé de me la donner, je la leur achetais.


– Mais Malines, Lier, Duffel ?

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– Je suis passé par Malines et par Lier, et j’ai envoyé un agent sûr à Duffel. À onze heures les Français seront battus, à minuit la flotte sera brûlée, à une heure les Français seront en pleine retraite, à deux heures Malines rompra ses digues, Lier ouvrira ses écluses, Duffel lancera ses canaux hors de leur lit : alors toute la plaine deviendra un océan furieux qui noiera maisons, champs, bois, villages, c’est vrai ; mais qui, en même temps, je vous le répète, noiera les Français, et cela de telle façon, qu’il n’en rentrera pas un seul en France.


Un silence d’admiration et presque d’effroi accueillit ces paroles ; puis, tout à coup, les Flamands éclatèrent en applaudissements.


Le prince d’Orange fit deux pas vers l’inconnu et lui tendit la main.


– Ainsi donc, monseigneur, dit-il, tout est prêt de notre côté ?


– Tout, répondit l’inconnu. Et tenez, je crois que du côté des Français tout est prêt aussi.


Et du doigt il montrait un officier qui soulevait la portière.


– Messeigneurs et messieurs, dit l’officier, nous recevons l’avis que les Français sont en marche et s’avancent vers la ville.


– Aux armes ! cria le bourgmestre.


– Aux armes ! répétèrent les assistants.


– Un instant, messieurs, interrompit l’inconnu de sa voix mâle et impérieuse ; vous oubliez de me laisser vous faire une dernière recommandation plus importante que toutes les autres.


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– Faites ! faites ! s’écrièrent toutes les voix.


– Les Français vont être surpris, donc ce ne sera pas même un combat, pas même une retraite, mais une fuite : pour les poursuivre, il faut être légers. Cuirasses bas, morbleu ! Ce sont vos cuirasses dans lesquelles vous ne pouvez remuer, qui vous ont fait perdre toutes les batailles que vous avez perdues.