Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 133




Entre les deux épaules le pourpoint était troué, et une tache de sang ronde et large comme un écu d’argent rougissait les franges du trou.


– Du sang ! s’écria Bonhomet, du sang ! ah ! vous êtes blessé !


– Attends, attends.


Et Chicot défit son pourpoint, puis sa chemise.


– Regarde maintenant, dit-il.


– Ah ! vous aviez une cuirasse ! ah ! quel bonheur, cher monsieur Chicot ; et vous dites que le scélérat a voulu vous assassiner ?


– Dame ! il me semble que ce n’est pas moi qui ai été m’amuser à me donner un coup de poignard entre les deux épaules. Maintenant que vois-tu ?


– Une maille rompue.


– Il y allait bon jeu bon argent, ce cher capitaine ; et du sang ?


– 263 –


– Oui, beaucoup de sang sous les mailles.


– Enlevons la cuirasse alors, dit Chicot.


Chicot enleva la cuirasse et mit à nu un torse qui semblait ne se composer que d’os, de muscles collés sur les os, et de peau collée sur les muscles.


– Ah ! monsieur Chicot, s’écria Bonhomet, vous en avez large comme une assiette.


– Oui, c’est cela, le sang est extravasé ; il y a ecchymose, comme disent les médecins ; donne-moi du linge blanc, verse en partie égale dans un verre de bonne huile d’olive et de la lie de vin, et lave-moi cette tache, mon ami, lave.


– Mais ce corps, cher monsieur Chicot, ce corps, que vais-je en faire ?


– Cela ne te regarde pas.


– Non. Donne-moi encre, plume et papier.


– À l’instant même, cher monsieur Chicot.


Bonhomet s’élança hors du réduit.


Pendant ce temps, Chicot, qui n’avait probablement pas de temps à perdre, chauffait à la lampe la pointe d’un petit couteau, et coupait au milieu de la cire le scel de la lettre.


Après quoi, rien ne retenant plus la dépêche, Chicot la tira de son enveloppe et la lut avec de vives marques de satisfaction.


Comme il venait d’achever cette lecture, maître Bonhomet rentra avec l’huile, le vin, le papier et la plume.


– 264 –


Chicot arrangea la plume, l’encre et le papier devant lui, s’assit à la table, et tendit le dos à Bonhomet avec un flegme stoïque.


Bonhomet comprit la pantomime et commença les frictions.


Cependant, comme si, au lieu d’irriter une douloureuse blessure, on l’eût voluptueusement chatouillée, Chicot, pendant ce temps, copiait la lettre du duc de Guise à sa sœur, et faisait ses commentaires à chaque mot.


Cette lettre était ainsi conçue :


« Chère sœur, l’expédition d’Anvers a réussi pour tout le monde, mais a manqué pour nous ; on vous dira que le duc d’Anjou est mort ; n’en croyez rien, il vit.