Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 13




– Nous savons par nos espions, dit le bourgmestre, qu’un mouvement se prépare dans le camp des Français ; ils se disposent à une attaque ; mais comme nous ne savons de quel côté l’attaque aura lieu, nous avons fait disposer le canon de telle sorte qu’il soit partagé avec égalité sur toute l’étendue du rempart.


– C’est sage, répondit l’inconnu avec un léger sourire, et regardant à la dérobée le Taciturne, qui se taisait, laissant, lui homme de guerre, parler de guerre tous les bourgeois.


– Il en a été de même de nos troupes civiques, continua le bourgmestre, elles sont réparties par postes doubles sur toute l’étendue des murailles, et ont ordre de courir à l’instant même au point d’attaque.


L’inconnu ne répondit rien ; il semblait attendre que le prince d’Orange parlât à son tour.


– Cependant, continua le bourgmestre, l’avis du plus grand nombre des membres du conseil est qu’il semble impossible que les Français méditent autre chose qu’une feinte.


– Et dans quel but cette feinte ? demanda l’inconnu.


– Dans le but de nous intimider et de nous amener à un arrangement à l’amiable qui livre la ville aux Français.


L’inconnu regarda de nouveau le prince d’Orange : on eût dit qu’il était étranger à tout ce qui se passait, tant il écoutait toutes ces paroles avec une insouciance qui tenait du dédain.


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– Cependant, dit une voix inquiète, ce soir on a cru remarquer dans le camp des préparatifs d’attaque.


– Soupçons sans certitude, reprit le bourgmestre. J’ai moi-même examiné le camp avec une excellente lunette qui vient de Strasbourg : les canons paraissaient cloués au sol, les hommes se préparaient au sommeil sans aucune émotion, M. le duc d’Anjou donnait à dîner dans sa tente.


L’inconnu jeta un nouveau regard sur le prince d’Orange.

Cette fois il lui sembla qu’un léger sourire crispait la lèvre du Taciturne, tandis que, d’un mouvement à peine visible, ses épaules dédaigneuses accompagnaient ce sourire.


– Eh ! messieurs, dit l’inconnu, vous êtes dans l’erreur complète ; ce n’est point une attaque furtive qu’on vous prépare en ce moment, c’est un bel et bon assaut que vous allez essuyer.


– Vraiment ?


– Vos plans, si naturels qu’ils vous paraissent, sont incomplets.


– Cependant, monseigneur… firent les bourgeois, humiliés que l’on parût douter de leurs connaissances en stratégie.


– Incomplets, reprit l’inconnu, en ceci, que vous vous attendez à un choc, et que vous avez pris toutes vos précautions pour cet événement.