Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 127




– Parbleu ! dit Chicot.


– Eh bien ! qu’as-tu vu ?


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– J’ai vu que les moines, au lieu d’être des frocards, étaient des soudards, et au lieu d’obéir à dom Modeste, t’obéissaient à toi. Voilà ce que j’ai vu.


– Ah ! vraiment ; mais sans doute ce n’est pas encore tout ?


– Non ; mais à boire, à boire, à boire, ou la mémoire va m’échapper.


Et comme la bouteille de Chicot était vide, il tendit son verre à Borromée, qui lui versa de la sienne.


Chicot vida son verre sans reprendre haleine.


– Eh bien ! nous rappelons-nous ? demanda Borromée.


– Si nous nous rappelons ?… je le crois bien !


– Qu’as-tu vu encore ?


– J’ai vu qu’il y avait un complot.


– Un complot ! dit Borromée, pâlissant.


– Un complot, oui, répondit Chicot.


– Contre qui ?


– Contre le roi.


– Dans quel but ?


– Dans le but de l’enlever.


– Et quand cela ?


– Quand il reviendrait de Vincennes.


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– Tonnerre !


– Plaît-il ?


– Rien. Ah ! vous avez vu cela ?


– Je l’ai vu.


– Et vous en avez prévenu le roi !


– Parbleu ! puisque j’étais venu pour cela.


– Alors c’est vous qui êtes cause que le coup a manqué ?


– C’est moi, dit Chicot.


– Massacre ! murmura Borromée entre ses dents.


– Vous dites ? demanda Chicot.


– Je dis que vous avez de bons yeux, l’ami.


– Bah ! répondit Chicot en balbutiant, j’ai vu bien autre chose encore. Passez-moi une de vos bouteilles, à vous, et je vous étonnerai quand je vous dirai ce que j’ai vu.


Borromée se hâta d’obtempérer au désir de Chicot.


– Voyons, dit-il, étonnez-moi.


– D’abord, dit Chicot, j’ai vu M. de Mayenne blessé.


– Bah !


– La belle merveille ! il était sur ma route. Et puis, j’ai vu la prise de Cahors.


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– Comment ! la prise de Cahors ! vous venez donc de Cahors ?


– Certainement. Ah ! capitaine, c’était beau à voir, en vérité, et un brave comme vous eût pris plaisir à ce spectacle.


– Je n’en doute pas ; vous étiez donc près du roi de Navarre ?


– Côte à côte, cher ami, comme nous sommes.


– Et vous l’avez quitté ?


– Pour annoncer cette nouvelle au roi de France.


– Et vous arrivez du Louvre ?


– Un quart d’heure avant vous.


– Alors, comme nous ne nous sommes pas quittés depuis ce temps-là, je ne vous demande pas ce que vous avez vu depuis notre rencontre au Louvre.


– Au contraire, demandez, demandez, car, sur ma parole, c’est le plus curieux.


– Dites, alors.


– Dites, dites ! fit Chicot ; ventre de biche ! c’est bien facile à dire : Dites !


– Faites un effort.


– Encore un verre de vin pour me délier la langue… tout plein, bon. Eh bien ! j’ai vu, camarade, qu’en tirant la lettre de Son Altesse le duc de Guise de ta poche, tu en as laissé tomber une autre.