Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 109




– Sois le bienvenu. Anvers, où en est Anvers ?


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– Anvers appartient au prince d’Orange, sire.


– Au prince d’Orange, qu’est-ce que c’est que cela ?


– À Guillaume, si vous l’aimez mieux.


– Ah ça, mais, et mon frère ne marchait-il pas sur Anvers ?


– Oui, sire ; mais maintenant, ce n’est plus sur Anvers qu’il marche, c’est sur Château-Thierry.


– Il a quitté l’armée ?


– Il n’y a plus d’armée, sire.


– Oh ! fit le roi en faiblissant des genoux et en retombant dans son fauteuil, mais Joyeuse ?


– Sire, mon frère, après avoir fait des prodiges avec ses marins, après avoir soutenu toute la retraite, mon frère a rallié le peu d’hommes échappés au désastre, et a fait avec eux une escorte à M. le duc d’Anjou.


– Une défaite ! murmura le roi.


Puis, tout à coup, avec un éclair étrange dans le regard :


– Alors les Flandres sont perdues pour mon frère ?


– Absolument, sire.


– Sans retour ?


– Je le crains.


Le front du prince s’éclaircit graduellement comme sous le jour d’une pensée intérieure.


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– Ce pauvre François, dit-il en souriant, il a du malheur en couronnes. Il a manqué celle de Navarre ; il a étendu la main vers celle d’Angleterre ; il a touché celle de Flandre : gageons, du Bouchage, qu’il ne régnera jamais : pauvre frère, lui qui en a tant envie !


– Eh ! mon Dieu ! c’est toujours comme cela quand on a envie de quelque chose, dit Chicot d’un ton solennel.


– Et combien de prisonniers ? demanda le roi.


– Deux mille, à peu près.


– Combien de morts ?


– Autant au moins ; M. de Saint-Aignan est du nombre.


– Comment ! il est mort, ce pauvre Saint-Aignan ?


– Noyé.


– Noyé ! Comment ! vous vous êtes donc jetés dans l’Escaut ?


– Non pas ; c’est l’Escaut qui s’est jeté sur nous.


Le comte fit alors au roi un récit exact de la bataille et de l’inondation.


Henri l’écouta d’un bout à l’autre avec une pose, un silence et une physionomie qui ne manquaient pas de majesté.


Puis, lorsque le récit fut fini, il se leva et alla s’agenouiller devant le prie-Dieu de son oratoire, fit son oraison, et, un instant après, revint avec un visage parfaitement rasséréné.


– Là ! dit-il, j’espère que je prends les choses en roi. Un roi soutenu par le Seigneur est réellement plus qu’un homme.

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Voyons, comte, imitez-moi, et puisque votre frère est sauvé comme le mien, Dieu merci, eh bien ! déridons-nous un peu.


– Je suis à vos ordres, sire.


– Que veux-tu pour prix de tes services, du Bouchage ?

parle.


– Sire, dit le jeune homme en secouant la tête, je n’ai rendu aucun service.