Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 105




– C’est possible.


– Tu l’as vue ?


– Oui.


– Et au moment où tu l’as quittée, que faisait-elle ?


– Oh ! cela, tu ne devinerais jamais.


– 203 –


– Elle se préparait à prendre un autre amant ?


– Elle se préparait à être sage-femme.


– Comment ! que signifie cette phrase, ou plutôt cette inversion anti-française ? Il y a équivoque, Chicot, gare à l’équivoque !


– Non pas, mon roi, non pas. Peste ! nous sommes un peu trop grammairien pour faire des équivoques, trop délicat pour faire des coq-à-l’âne, et trop véridique pour avoir jamais voulu dire femme sage ! Non, non, mon roi ; c’est bien sage-femme que j’ai dit.


Obstetrix ?


Obstetrix, oui, mon roi ; Juno Lucina, si tu aimes mieux.


– Monsieur Chicot !


– Oh ! roule tes yeux tant que tu voudras ; je te dis que ta sœur Margot était en train de faire un accouchement quand je suis parti de Nérac.


– Pour son compte ! s’écria Henri en pâlissant, Margot aurait des enfants ?


– Non, non, pour le compte de son mari ; tu sais bien que les derniers Valois n’ont pas la vertu prolifique ; ce n’est point comme les Bourbons, peste !


– Ainsi Margot accouche, verbe actif.


– Tout ce qu’il y a de plus actif.


– Qui accouche-t-elle ?


– Mademoiselle Fosseuse.

– 204 –


– Ma foi, je n’y comprends rien, dit le roi.


– Ni moi non plus, dit Chicot ; mais je ne me suis pas engagé à te faire comprendre ; je me suis engagé à te dire ce qui est, voilà tout.


– Mais ce n’est peut-être qu’à son corps défendant qu’elle a consenti à cette humiliation ?


– Certainement, il y a eu lutte ; mais du moment où il y a eu lutte, il y a eu infériorité de part ou d’autre ; vois Hercule avec Antée, vois Jacob avec l’ange, eh bien ! ta sœur a été moins forte que Henri, voilà tout.


– Mordieu ! j’en suis aise, en vérité.


– Mauvais frère.


– Ils doivent s’exécrer alors ?


– Je crois qu’au fond ils ne s’adorent pas.


– Mais en apparence ?


– Ils sont les meilleurs amis du monde, Henri.


– Oui ; mais un beau matin viendra quelque nouvel amour qui les brouillera tout à fait.


– Eh bien ! ce nouvel amour est venu, Henri.


– Bah !


– Oui, d’honneur ; mais veux-tu que je te dise la peur que j’ai ?


– Dis.

– 205 –


– J’ai peur que ce nouvel amour, au lieu de les brouiller, ne les raccommode.


– Ainsi, il y a un nouvel amour ?


– Eh ! mon Dieu, oui.


– Du Béarnais ?


– Du Béarnais.


– Pour qui ?


– Attends donc ; tu veux tout savoir, n’est-ce pas ?


– Oui, raconte, Chicot, raconte ; tu racontes très bien.


– Merci, mon fils ; alors, si tu veux tout savoir, il faut que je remonte au commencement.