Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 102
– Ah !… bonjour, mon roi, comment vas-tu ? Je te trouve un petit air tout guilleret ce matin.
– N’est-ce pas, Chicot ?
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– De charmantes petites couleurs.
– Hein ?
– Est-ce à toi ?
– Parbleu !
– Alors, je t’en fais mon compliment.
– Le fait est que je me sens on ne peut plus dispos ce matin.
– Tant mieux, mon roi, tant mieux.
Ah ça ! mais ton déjeuner ne finissait point là, et il te restait bien encore quelques petites friandises ?
– Voici des cerises confites par les dames de Montmartre.
– Elles sont trop sucrées.
– Des noix farcies de raisin de Corinthe.
– Fi ! on a laissé les pépins dans les raisins.
– Tu n’es content de rien.
– C’est que, parole d’honneur, tout dégénère, même la cuisine, et qu’on vit de plus en plus mal à la cour.
– Vivrait-on mieux à celle du roi de Navarre ? demanda Henri en riant.
– Eh ! eh !… je ne dis pas non.
– Alors, c’est qu’il s’y est fait de grands changements.
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– Ah ! quant à cela, tu ne crois pas si bien dire, Henriquet.
– Parle-moi un peu de ton voyage, alors ; cela me distraira.
– Très volontiers, je ne suis venu que pour cela. Par où veux-tu que je commence ?
– Par le commencement. Comment as-tu fait la route ?
– Oh ! une véritable promenade.
– Tu n’as pas eu de désagréments par les chemins ?
– Moi, j’ai fait un voyage de fée.
– Pas de mauvaises rencontres ?
– Allons donc ! est-ce qu’on se permettrait de regarder de travers un ambassadeur de Sa Majesté très chrétienne ? Tu calomnies tes sujets, mon fils.
– Je disais cela, reprit le roi, flatté de la tranquillité qui régnait dans son royaume, parce que n’ayant point de caractère officiel, ni même apparent, tu pouvais risquer.
– Je te dis, Henriquet, que tu as le plus charmant royaume du monde ; les voyageurs y sont nourris gratis, on les y héberge pour l’amour de Dieu, ils n’y marchent que sur des fleurs, et, quant aux ornières, elles sont tapissées de velours à franges d’or ; c’est incroyable, mais cela est.
– Enfin, tu es content, Chicot ?
– Enchanté.
– Oui, oui, ma police est bien faite.
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– À merveille ! c’est une justice à lui rendre.
– Et la route est sûre ?
– Comme celle du paradis : on n’y rencontre que de petits anges qui passent en chantant les louanges du roi.
– Chicot, nous en revenons à Virgile.
– À quel endroit de Virgile ?
– Aux Bucoliques. O fortunatos nimium !
– Ah ! très bien, et pourquoi cette exception en faveur des laboureurs, mon fils ?
– Hélas ! parce qu’il n’en est pas de même dans les villes.