Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 101
Eh bien ! Alexandre aimait à se baigner devant ses soldats, parce qu’Alexandre était beau, bien fait et suffisamment dodu, ce qui fait qu’on le comparait à l’Apollon, et même à l’Antinous.
– Oh ! oh ! sire, fit Crillon, vous auriez diablement tort de faire comme lui et de vous baigner devant les vôtres, car vous êtes bien maigre, mon pauvre sire.
– Brave Crillon, va, dit Henri en lui frappant sur l’épaule, tu es un bien excellent brutal, tu ne me flattes pas, toi ; tu n’es pas courtisan, mon vieil ami.
– C’est qu’aussi vous ne m’invitez pas à déjeuner, reprit Crillon en riant avec bonhomie et en prenant congé du roi, plutôt content que mécontent, car la tape sur l’épaule avait fait balance au déjeuner absent.
Crillon parti, la table fut dressée aussitôt.
Le maître-d’hôtel royal s’était surpassé. Une certaine bisque de perdreaux avec une purée de truffes et de marrons attira tout d’abord l’attention du roi, que de belles huîtres avaient déjà tenté.
Aussi le consommé habituel, ce fidèle réconfortant du monarque, fut-il négligé ; il ouvrait en vain ses grands yeux dans son écuelle d’or ; ses yeux mendiants, comme eût dit Théophile, n’obtinrent absolument rien de Sa Majesté.
Le roi commença l’attaque sur sa bisque de perdreaux.
Il en était à sa quatrième bouchée, lorsqu’un pas léger effleura le parquet derrière lui, une chaise grinça sur ses roulettes, et une voix bien connue demanda aigrement :
– Un couvert !
– 194 –
Le roi se retourna.
– Chicot ! s’écria-t-il.
– En personne.
Et Chicot, reprenant ses habitudes, qu’aucune absence ne lui pouvait faire perdre, Chicot s’étendit dans sa chaise, prit une assiette, une fourchette, et sur le plat d’huîtres commença, en les arrosant de citron, à prélever les plus grosses et les plus grasses, sans ajouter un seul mot.
– Toi ici ! toi revenu ! s’écria Henri.
– Chut ! lui fit de la main Chicot, la bouche pleine.
Et il profita de cette exclamation du roi pour attirer à lui les perdreaux.
– Halte-là, Chicot, c’est mon plat ! s’écria Henri en allongeant la main pour retenir la bisque.
Chicot partagea fraternellement avec son prince et lui en rendit la moitié.
Puis il se versa du vin, passa de la bisque à un pâté de thon, du thon à des écrevisses farcies, avala par manière d’acquit, et par-dessus le tout, le consommé royal ; puis, poussant un grand soupir :
– Je n’ai plus faim, dit-il.
– Par la mordieu ! je l’espère bien, Chicot.