Les Quarante-cinq. Tome I | страница 91
– Demande alors, dit le roi en soupirant.
– Je désire que Votre Majesté me donne le commandement de ces quarante-cinq gentilshommes.
– Comment ! dit le roi stupéfait, tu veux marcher devant moi, derrière moi ? tu veux te dévouer à ce point, tu veux être capitaine des gardes ?
– Non pas, non pas, sire.
– À la bonne heure, que veux-tu donc alors ? parle.
– Je veux que ces gardes, mes compatriotes, comprennent mieux mon commandement que celui de tout autre ; mais je ne les précéderai ni ne les suivrai : j’aurai un second moi-même.
– Il y a encore quelque chose là-dessous, pensa Henri en secouant la tête ; ce diable d’homme donne toujours pour avoir.
Puis tout haut :
– Eh bien, soit, tu auras ton commandement.
– Secret ?
– Oui. Mais qui donc sera officiellement le chef de mes quarante-cinq ?
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– Le petit Loignac.
– Ah ! tant mieux.
– Il agrée à Votre Majesté ?
– Parfaitement.
– Est-ce arrêté ainsi, sire ?
– Oui, mais…
– Mais ?
– Quel rôle joue-t-il près de toi, ce Loignac ?
– Il est mon d’Épernon, sire.
– Il te coûte cher alors, grommela le roi.
– Votre Majesté dit ?
– Je dis que j’accepte.
– Sire, je vais chez le trésorier de l’épargne chercher les quarante-cinq bourses.
– Ce soir ?
– Ne faut-il pas que nos hommes les trouvent demain sur leurs chaises.
– C’est juste. Va ; moi, je rentre chez moi.
– Content, sire ?
– Assez.
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– Bien gardé dans tous les cas.
– Oui, par des gens qui dorment les poings fermés.
– Ils veilleront demain, sire.
D’Épernon reconduisit Henri jusqu’à la porte de la galerie et le quitta en se disant :
– Si je ne suis pas roi, j’ai des gardes comme un roi, et qui ne me coûtent rien, parfandious !
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XIV
L’ombre de Chicot
Le roi, nous l’avons dit il n’y a qu’un instant, n’avait jamais de déceptions sur le compte de ses amis. Il connaissait leurs défauts et leurs qualités, et il lisait, roi de la terre, aussi exactement au plus profond de leur cœur que pouvait le faire le roi du ciel.
Il avait compris tout de suite où voulait en venir d’Épernon ; mais comme il s’attendait à ne rien recevoir en échange de ce qu’il donnerait, et qu’il recevait quarante-cinq estafiers en échange de soixante-cinq mille écus, l’idée du Gascon lui parut une trouvaille.
Et puis c’était une nouveauté. Un pauvre roi de France n’est pas toujours grassement fourni de cette marchandise si rare même pour des sujets, le roi Henri III surtout qui, lorsqu’il avait fait ses processions, peigné ses chiens, aligné ses têtes de mort et poussé sa quantité voulue de soupirs, n’avait plus rien à faire.