Les Quarante-cinq. Tome I | страница 90




– Pardon, sire, j’ai disposé, sauf le plaisir de Votre Majesté, de ces vingt mille écus.


– Ah ! tu en as disposé ?


– Oui, sire, ce sera un acompte sur ma traite.


– J’en étais sûr, dit le roi, tu me donnes une garde pour rentrer dans ton argent.


– Oh ! par exemple, sire !


– Mais pourquoi juste ce compte de quarante-cinq ?

demanda le roi, passant à une autre idée.


– Voilà, sire. Le nombre trois est primordial et divin, de plus, il est commode. Par exemple, quand un cavalier a trois chevaux, jamais il n’est à pied : le second remplace le premier qui est las, et puis il en reste un troisième pour suppléer au second, en cas de blessure ou de maladie. Vous aurez donc toujours trois fois quinze gentilshommes : quinze de service, trente qui se reposeront. Chaque service durera douze heures ; et pendant ces douze heures vous en aurez toujours cinq à droite, cinq à gauche, deux devant et trois derrière. Que l’on vienne un peu vous attaquer avec une pareille garde.


– Par la mordieu ! c’est habilement combiné, duc, et je te fais mon compliment.


– Regardez-les, sire ; en vérité ils font bon effet.


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– Oui, habillés ils ne seront pas mal.


– Croyez-vous maintenant que j’aie le droit de parler des dangers qui vous menacent, sire ?


– Je ne dis pas.


– J’avais donc raison ?


– Soit.


– Ce n’est pas M. de Joyeuse qui aurait eu cette idée-là.


– D’Épernon ! d’Épernon ! il n’est point charitable de dire du mal des absents.


– Parfandious ! vous dites bien du mal des présents, sire.


– Ah ! Joyeuse m’accompagne toujours. Il était avec moi à la Grève aujourd’hui, lui, Joyeuse.


– Eh bien ! moi j’étais ici, sire, et Votre Majesté voit que je ne perdais pas mon temps.


– Merci, Lavalette.


– À propos, sire, fit d’Épernon, après un silence d’un instant, j’avais une chose à demander à Votre Majesté.


– Cela m’étonnait beaucoup, en effet, duc, que tu ne me demandasses rien.


– Votre Majesté est amère aujourd’hui, sire.


– Eh ! non, tu ne comprends pas, mon ami, dit le roi dont la raillerie avait satisfait la vengeance, ou plutôt tu me comprends mal : je disais que, m’ayant rendu service, tu avais droit à me demander quelque chose ; demande donc.

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– C’est différent, sire. D’ailleurs, ce que je demande à Votre Majesté, c’est une charge.


– Une charge ! toi, colonel général de l’infanterie, tu veux encore une charge ; mais elle t’écrasera.


– Je suis fort comme Samson pour le service de Votre Majesté ; je porterais le ciel et la terre.