Les Quarante-cinq. Tome I | страница 89



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– Ah ! nous en revenons, sire, à la question du chiffre.


– Comptais-tu l’éluder ?


– Non pas, au contraire, c’est en toutes choses la question fondamentale ; mais à l’endroit de ce chiffre, j’ai encore eu une idée.


– D’Épernon, d’Épernon ! dit le roi.


– Que voulez-vous, sire, le désir de plaire à Votre Majesté double mon imagination.


– Allons, voyons, dis cette idée.


– Eh bien, si cela dépendait de moi, chacun de ces gentilshommes trouveraient demain matin, sur le tabouret qui porte ses guenilles, une bourse de mille écus pour le paiement du premier semestre.


– Mille écus pour le premier semestre, six mille livres par an ? allons donc ! vous êtes fou, duc ; un régiment tout entier ne coûterait point cela.


– Vous oubliez, sire, qu’ils sont destinés à être les ombres de Votre Majesté ; et, vous l’avez dit vous-même, vous désirez que vos ombres soient décemment habillées. Chacun aura donc à prendre sur ses mille écus pour se vêtir et s’armer de manière à vous faire honneur ; et sur le mot honneur, laissez la longe un peu lâche aux Gascons. Or, en mettant quinze cents livres pour l’équipement, ce serait donc quatre mille cinq cents livres pour la première année, trois mille pour la seconde et les autres.


– C’est plus acceptable.


– Et Votre Majesté accepte ?


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– Il n’y a qu’une difficulté, duc. – Laquelle ?


– Le manque d’argent.


– Le manque d’argent ?


– Dame ! tu dois savoir mieux que personne que ce n’est point une mauvaise raison que je te donne là, toi qui n’as pas encore pu te faire payer ta traite.


– Sire, j’ai trouvé un moyen.


– De me faire avoir de l’argent ?


– Pour votre garde, oui, sire.


– Quelque tour de pince-maille, pensa le roi en regardant d’Épernon de côté.


Puis tout haut :


– Voyons ce moyen, dit-il.


– On a enregistré, il y a eu six mois aujourd’hui même, un édit sur les droits de gibier et de poisson.


– C’est possible.


– Le paiement du premier semestre a donné soixante-cinq mille écus que le trésorier de l’épargne a encaissés ce matin, lorsque je l’ai prévenu de n’en rien faire, de sorte qu’au lieu de verser au trésor, il tient à la disposition de Votre Majesté l’argent de la taxe.


– Je le destinais aux guerres.


– Eh bien, justement, sire. La première condition de la guerre, c’est d’avoir des hommes ; le premier intérêt du

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royaume, c’est la défense et la sûreté du roi ; en soldant la garde du roi, on remplit toutes ces conditions.


– La raison n’est pas mauvaise ; mais, à ton compte, je ne vois que quarante-cinq mille écus employés ; il va donc m’en rester vingt mille pour mes régiments.