Les Quarante-cinq. Tome I | страница 85
– C’est bien impuissant à atteindre de loin.
– Contre ceux qu’il faut atteindre de loin, j’ai les mousquets de mes arquebusiers.
– C’est gênant pour frapper de près : pour défendre une poitrine royale, ce qui vaut mieux que des hallebardes et des mousquets, ce sont de bonnes poitrines.
– Hélas ! dit Henri, voilà ce que j’avais autrefois, et dans ces poitrines de nobles cœurs. Jamais on ne fût arrivé à moi du temps de ces vivants remparts qu’on appelait Quélus, Schomberg, Saint-Luc, Maugiron et Saint-Mégrin.
– Voilà donc ce que Votre Majesté regrette ? demanda d’Épernon, comptant saisir sa revanche en prenant le roi en flagrant délit d’égoïsme.
– Je regrette les cœurs qui battaient dans ces poitrines, avant toutes choses, dit Henri.
– Sire, dit d’Épernon, si j’osais, je ferais remarquer à Votre Majesté que je suis Gascon, c’est-à-dire prévoyant et industrieux ; que je tâche de suppléer par l’esprit aux qualités que m’a refusées la nature ; en un mot, que je fais tout ce que je puis, c’est-à-dire tout ce que je dois, et que par conséquent j’ai le droit de dire : Advienne que pourra !
– Ah ! voilà comme tu t’en tires, toi ; tu viens me faire grand étalage des dangers vrais ou faux que je cours, et quand tu es parvenu à m’effrayer, tu te résumes par ces mots : Advienne que pourra !… Bien obligé, duc.
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– Votre Majesté veut donc bien croire un peu à des dangers ?
– Soit : j’y croirai si tu me prouves que tu peux les combattre.
– Je crois que je le puis.
– Tu le peux ?
– Oui, sire.
– Je sais bien. Tu as tes ressources, tes petits moyens, renard que tu es !
– Pas si petits.
– Voyons, alors.
– Votre Majesté consent-elle à se lever ? – Pourquoi faire ?
– Pour venir avec moi jusqu’aux anciens bâtiments du Louvre.
– Du côté de la rue de l’Astruce ?
– Précisément à l’endroit où l’on s’occupait de bâtir un garde-meubles, projet qui a été abandonné depuis que Votre Majesté ne veut plus d’autres meubles que des prie-Dieu et des chapelets de têtes de mort.
– À cette heure ?
– Dix heures sonnent à l’horloge du Louvre ; ce n’est pas si tard, il me semble.
– Que verrai-je dans ces bâtiments ?
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– Ah ! dame ! si je vous le dis, c’est le moyen que vous ne veniez pas.
– C’est bien loin, duc.
– Par les galeries, on y va en cinq minutes, sire.
– D’Épernon, d’Épernon.
– Eh bien, sire ?
– Si ce que tu veux me faire voir n’est pas très curieux, prends garde.
– Je vous réponds, sire, que ce sera curieux.