Les Quarante-cinq. Tome I | страница 86




– Allons donc, fit le roi en se soulevant avec un effort.


Le duc prit son manteau et présenta au roi son épée ; puis, prenant un flambeau de cire, il se mit à précéder dans la galerie Sa Majesté très chrétienne, qui le suivit d’un pas traînant.

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XIII

Le Dortoir


Quoiqu’il ne fût encore que dix heures, comme l’avait dit d’Épernon, un silence de mort envahissait déjà le Louvre ; à peine, tant le vent soufflait avec rage, entendait-on le pas alourdi des sentinelles et le grincement des ponts-levis.


En moins de cinq minutes, en effet, les deux promeneurs arrivèrent aux bâtiments de la rue de l’Astruce, qui avaient conservé ce nom, même depuis l’édification de Saint-Germain-l’Auxerrois.


Le duc tira une clef de son aumônière, descendit quelques marches, traversa une petite cour, ouvrit une porte cintrée, enfermée sous des ronces jaunissantes, et dont le bas s’embarrassait encore dans de longues herbes.


Il suivit pendant dix pas une route sombre, au bout de laquelle il se trouva dans une cour intérieure que dominait à l’un de ses angles un escalier de pierre.


Cet escalier aboutissait à une vaste chambre, ou plutôt à un immense corridor.


D’Épernon avait aussi la clef de ce corridor.


Il en ouvrit doucement la porte, et fit remarquer à Henri l’étrange aménagement qui, cette porte ouverte, frappait tout d’abord les yeux.


Quarante-cinq lits le garnissaient : chacun de ces lits était occupé par un dormeur.

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Le roi regarda tous ces lits, tous ces dormeurs, puis se retournant du côté du duc avec une curiosité inquiète :


– Eh bien ! lui demanda-t-il, quels sont tous ces gens qui dorment ?


– Des gens qui dorment encore ce soir, mais qui dès demain ne dormiront plus, qu’à leur tour s’entend.


– Et pourquoi ne dormiront-ils plus ?


– Pour que Votre Majesté puisse dormir, elle.


– Explique-toi ; tous ces gens-là sont donc tes amis ?


– Choisis par moi, sire, triés comme le grain dans l’aire ; des gardes intrépides qui ne quitteront pas Votre Majesté plus que son ombre, et qui, gentilshommes tous, ayant le droit d’aller partout où Votre Majesté ira, ne laisseront personne approcher de vous à la longueur d’une épée.


– C’est toi qui as inventé cela, d’Épernon ?


– Eh ! mon Dieu, oui, moi tout seul, sire.


– On en rira.


– Non pas, on en aura peur.


– Ils sont donc bien terribles, tes gentilshommes ?


– Sire, c’est une meute que vous lancerez sur tel gibier qu’il vous plaira, et qui, ne connaissant que vous, n’ayant de relation qu’avec Votre Majesté, ne s’adresseront qu’à vous pour avoir la lumière, la chaleur, la vie.