Les Quarante-cinq. Tome I | страница 69
– Mais qui diable êtes-vous ? demanda celui-ci qui sentit sa main prise comme dans un étau.
– Je suis Robert Briquet, surnommé la terreur du schisme, ami de l’Union, et catholique enragé ; maintenant je vous reconnais positivement.
Le marchand devint blême.
– Vous êtes Nicolas… Grimbelot, corroyeur à la Vache sans os.
– Non, vous vous trompez. Adieu, maître Robert Briquet ; enchanté d’avoir fait votre connaissance.
Et le marchand tourna le dos au balcon.
– Comment, vous vous en allez ?
– Vous le voyez bien.
– Sans me prendre ma ferraille ?
– Je n’ai pas d’argent sur moi, je vous l’ai dit.
– Mon valet vous suivra.
– Impossible.
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– Alors, comment faire ?
– Dame ! restons comme nous sommes.
– Ventre de biche ! je m’en garderais bien, j’ai trop grande envie de cultiver votre connaissance.
– Et moi de fuir la vôtre, répliqua le marchand qui, cette fois, se résignant à abandonner ses cuirasses et à tout perdre plutôt que d’être reconnu, prit ses jambes à son cou et s’enfuit.
Mais Robert Briquet n’était pas homme à se laisser battre ainsi ; il enfourcha son balcon, descendit dans la rue sans avoir presque besoin de sauter, et en cinq ou six enjambées il atteignit le marchand.
– Êtes-vous fou, mon ami ? dit-il en posant sa large main sur l’épaule du pauvre diable ; si j’étais votre ennemi, si je voulais vous faire arrêter, je n’aurais qu’à crier : le guet passe à cette heure dans la rue des Augustins ; mais non, vous êtes mon ami, ou le diable m’emporte ! et la preuve, c’est que maintenant je me rappelle positivement votre nom.
Cette fois le marchand se mit à rire.
Robert Briquet se plaça en face de lui.
– Vous vous nommez Nicolas Poulain, dit-il, vous êtes lieutenant de la prévôté de Paris ; je me souvenais bien qu’il y avait du Nicolas là-dessous.
– Je suis perdu ! balbutia le marchand.
– Au contraire, vous êtes sauvé ; ventre de biche ! vous ne ferez jamais pour la bonne cause ce que j’ai intention de faire, moi.
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Nicolas Poulain laissa échapper un gémissement.
– Voyons, voyons, du courage, dit Robert Briquet ; remettez-vous ; vous avez trouvé un frère, frère Briquet ; prenez une cuirasse, je prendrai les deux autres : je vous fais cadeau de mes brassards, de mes cuissards et de mes gants par dessus le marché ; allons, en route, et vive l’Union !
– Vous m’accompagnez ?
– Je vous aide à porter ces armes qui doivent vaincre les Philistins : montrez-moi la route, je vous suis.