Les Quarante-cinq. Tome I | страница 67




Le marchand jeta les yeux autour de lui en tirant à demi sa dague du fourreau. Évidemment il avait l’intention de faire à la peau de Samuel un accroc qui l’eût dispensé à tout jamais de racheter une cuirasse pour remplacer celle qu’il venait de vendre ; mais Samuel avait l’œil alerte comme un moineau qui vendange, et il recula en disant :


– Oui, oui, bon marchand, je vois ta dague ; mais je vois encore autre chose : cette figure au balcon qui te voit aussi.


Le marchand, blême de frayeur, regarda dans la direction indiquée par Samuel, et vit en effet au balcon une longue et fantastique créature, enveloppée dans une robe de chambre en fourrures de peaux de chat : cet argus n’avait perdu ni une syllabe ni un geste de la dernière scène.


– Allons, allons, vous faites de moi ce que vous voulez, dit le marchand avec un rire pareil à celui du chacal qui montre ses

– 136 –


dents, voilà un écus en plus. Et que le diable vous étrangle !

ajouta-t-il tout bas.


– Merci, dit Samuel ; bon négoce !


Et saluant l’homme aux cuirasses, il disparut en ricanant.


Le marchand, demeuré seul dans la rue, se mit à ramasser la cuirasse de Pertinax et à l’enchâsser dans celle de Fournichon.


Le bourgeois regardait toujours, puis quand il vit le marchand bien empêché :


– Il paraît, monsieur, lui dit-il, que vous achetez des armures ?


– Mais non, monsieur, répondit le malheureux marchand ; c’est par hasard et parce que l’occasion s’en est présentée ainsi.


– Alors, le hasard me sert à merveille.


– En quoi, monsieur ? demanda le marchand.


– Imaginez-vous que j’ai justement là, à la portée de ma main, un tas de vieilles ferrailles qui me gênent.


– Je ne vous dis pas non ; mais pour le moment, vous le voyez, j’en ai tout ce que j’en puis porter.


– Je vais toujours vous les montrer.


– Inutile, je n’ai plus d’argent.


– Qu’à cela ne tienne, je vous ferai crédit ; vous m’avez l’air d’un parfait honnête homme.


– Merci, mais on m’attend.

– 137 –


– C’est étrange comme il me semble que je vous connais !

fit le bourgeois.


– Moi ? dit le marchand essayant inutilement de réprimer un frisson.


– Regardez donc cette salade, dit le bourgeois amenant avec son long pied l’objet annoncé, car il ne voulait point quitter la fenêtre de peur que le marchand ne se dérobât.


Et il déposa la salade dans la main du marchand.


– Vous me connaissez, dit celui-ci, c’est-à-dire que vous croyez me connaître ?


– C’est-à-dire que je vous connais. N’êtes-vous point…