Les Quarante-cinq. Tome I | страница 57




– Alors, je résolus de ne pas rentrer à la maison, et de me soustraire le plus loin possible à la colère paternelle.


– Mais votre chapeau ?


– Attendez donc, que diable ! mon chapeau, il était tombé.


– Comme vous ?


– Moi, je n’étais pas tombé ; je m’étais laissé glisser à terre ; un Pincorney ne tombe pas de cheval : les Pincorney sont écuyers au maillot.


– C’est connu, dit Sainte-Maline ; mais votre chapeau ?


– Ah ! voilà, mon chapeau ?

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– Oui.


– Mon chapeau était donc tombé ; je me mis à sa recherche, car c’était ma seule ressource, étant sorti sans argent.


– Et comment votre chapeau pouvait-il vous être une ressource ? insista Sainte-Maline, décidé à pousser Pincorney à bout.


– Sandioux ! et une grande ! Il faut vous dire que la plume de ce chapeau était retenue par une agrafe en diamant que S. M.

l’empereur Charles V donna à mon grand-père, lorsqu’en se rendant d’Espagne en Flandre il s’arrêta dans notre château.


– Ah ! ah ! et vous avez vendu l’agrafe et le chapeau avec.

Alors, mon cher ami, vous devez être le plus riche de nous tous, et vous auriez bien dû, avec l’argent de votre agrafe, acheter un second gant ; vous avez des mains dépareillées : l’une est blanche comme une main de femme, l’autre est noire comme une main de nègre.


– Attendez donc : au moment où je me retournais pour chercher mon chapeau, je vois un corbeau énorme qui fond dessus.


– Sur votre chapeau ?


– Ou plutôt sur mon diamant ; vous savez que cet animal dérobe tout ce qui brille : il fond donc sur mon diamant et me le dérobe.


– Votre diamant ?


– Oui, monsieur. Je le suis des yeux d’abord ; puis ensuite, en courant, je crie : Arrêtez ! arrêtez ! au voleur ! La peste ! au bout de cinq minutes il était disparu, et jamais plus je n’en ai entendu parler.

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– De sorte qu’accablé par cette double perte…


– Je n’ai plus osé rentrer dans la maison paternelle, et je me suis décidé à venir chercher fortune à Paris.


– Bon ! dit un troisième, le vent s’est donc changé en corbeau ? Je vous ai entendu, ce me semble, raconter à M. de Loignac qu’occupé à lire une lettre de votre maîtresse, le vent vous avait emporté lettre et chapeau, et qu’en véritable Amadis, vous aviez couru après la lettre, laissant aller le chapeau où bon lui semblait ?


– Monsieur, dit Sainte-Maline, j’ai l’honneur de connaître M. d’Aubigné, qui, quoique fort brave soldat, manie assez bien la plume ; narrez-lui, quand vous le rencontrerez, l’histoire de votre chapeau, et il fera un charmant conte là-dessus.