Les Quarante-cinq. Tome I | страница 46




– Impossible, mon frère.


– As-tu essayé ?


– Pourquoi faire ?


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– Dame ! ne fût-ce que pour essayer. Tu es amoureux, dis-tu ?


– Je ne connais pas de mot pour exprimer mon amour.


– Eh bien ! dans quinze jours, tu auras ta maîtresse.


– Mon frère !


– Foi de Joyeuse. Tu n’as pas désespéré, je pense ?


– Non, car je n’ai jamais espéré.


– À quelle heure la vois-tu ?


– À quelle heure je la vois ?


– Sans doute.


– Mais je vous ai dit que je ne la voyais pas, mon frère.


– Jamais ?


– Jamais.


– Pas même à sa fenêtre ?


– Pas même son ombre, vous dis-je.


– Il faut que cela finisse. Voyons, a-t-elle un amant ?


– Je n’ai jamais vu un homme entrer dans sa maison, excepté ce Remy dont je vous ai parlé.


– Comment est la maison ?


– Deux étages, petite porte sur un degré, terrasse au-dessus de la deuxième fenêtre.

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– Mais par cette terrasse, ne peut-on entrer ?


– Elle est isolée des autres maisons.


– Et en face, qu’y a-t-il ?


– Une autre maison à peu près pareille, quoique plus élevée, ce me semble.


– Par qui est habitée cette maison ?


– Par une espèce de bourgeois.


– De méchante ou de bonne humeur ?


– De bonne humeur, car parfois je l’entends rire tout seul.


– Achète-lui sa maison.


– Qui vous dit qu’elle soit à vendre ?


– Offre-lui-en le double de ce qu’elle vaut.


– Et si la dame m’y voit ?


– Eh bien ?


– Elle disparaîtra encore, tandis qu’en dissimulant ma présence, j’espère qu’un jour ou l’autre je la reverrai.


– Tu la reverras ce soir.


– Moi ?


– Va te camper sous son balcon à huit heures.


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– J’y serai comme j’y suis chaque jour, mais sans plus d’espoir que les autres jours.


– À propos ! l’adresse au juste ?


– Entre la porte Bussy et l’hôtel Saint-Denis, presque au coin de la rue des Augustins, à vingt pas d’une grande hôtellerie ayant enseigne ; À l’Épée du fier Chevalier.


– Très bien, à huit heures, ce soir.


– Mais que ferez-vous ?


– Tu le verras, tu l’entendras. En attendant, retourne chez toi, endosse tes plus beaux habits, prends tes plus riches joyaux, verse sur tes cheveux tes plus fines essences ; ce soir tu entres dans la place.


– Dieu vous entende, mon frère !


– Henri, quand Dieu est sourd, le diable ne l’est pas. Je te quitte, ma maîtresse m’attend ; non, je veux dire la maîtresse de M. de Mayenne. Par le pape ! celle-là n’est point une bégueule.


– Mon frère !


– Pardon, beau servant d’amour ; je ne fais aucune comparaison entre ces deux dames, sois-en bien persuadé, quoique, d’après ce que tu me dis, j’aime mieux la mienne, ou plutôt la nôtre. Mais elle m’attend, et je ne veux pas la faire attendre. Adieu, Henri, à ce soir.