Les Quarante-cinq. Tome I | страница 47
– À ce soir, Anne.
Les deux frères se serrèrent la main et se séparèrent.
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L’un, au bout de deux cents pas, souleva hardiment et laissa retomber avec bruit le heurtoir d’une belle maison gothique sise au parvis Notre-Dame.
L’autre s’enfonça silencieusement dans une des rues tortueuses qui aboutissent au Palais.
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VII
En quoi l’épée du fier chevalier eutraison sur le rosier d’amour.
Pendant la conversation que nous venons de rapporter, la nuit était venue, enveloppant de son humide manteau de brumes la ville si bruyante deux heures auparavant.
En outre, Salcède mort, les spectateurs avaient songé à regagner leurs gîtes, et l’on ne voyait plus que des pelotons éparpillés dans les rues, au lieu de cette chaîne non interrompue de curieux qui dans la journée étaient descendus ensemble vers un même point.
Jusqu’aux quartiers les plus éloignés de la Grève, il y avait des restes de tressaillements bien faciles à comprendre après la longue agitation du centre.
Ainsi du côté de la porte Bussy, par exemple, où nous devons nous transporter à cette heure pour suivre quelques-uns des personnages que nous avons mis en scène au commencement de cette histoire, et pour faire connaissance avec des personnages nouveaux ; à cette extrémité, disons-nous, on entendait bruire, comme une ruche au coucher du soleil, certaine maison teintée en rose et relevée de peintures bleues et blanches, qui s’appelait la Maison de l’Épée du fier Chevalier, et qui cependant n’était qu’une hôtellerie de proportions gigantesques, récemment installée dans ce quartier neuf.
En ce temps-là Paris ne comptait pas une seule bonne hôtellerie qui n’eût sa triomphante enseigne. L’Épée du fier
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Chevalier était une de ces magnifiques exhibitions destinées à rallier tous les goûts, à résumer toutes les sympathies.
On voyait peint sur l’entablement le combat d’un archange ou d’un saint contre un dragon, lançant, comme le monstre d’Hippolyte, des torrents de flamme et de fumée. Le peintre, animé d’un sentiment héroïque et pieux tout à la fois, avait mis dans les mains du fier chevalier, armé de toutes pièces, non pas une épée, mais une immense croix avec laquelle il tranchait en deux, mieux qu’avec la lame la mieux acérée, le malheureux dragon dont les morceaux saignaient sur la terre.
On voyait au fond de l’enseigne, ou plutôt du tableau, car l’enseigne méritait bien certainement ce nom, on voyait des quantités de spectateurs levant leurs bras en l’air, tandis que, dans le ciel, des anges étendaient sur le casque du fier chevalier des lauriers et des palmes.