Les Quarante-cinq. Tome I | страница 108
– Fort bien ; mais M. de Mayenne a le poignard traître, lui, si Joyeuse a l’épée mauvaise. Rappelle-toi Saint-Mégrin. –
Henri poussa un soupir et leva les yeux au ciel. – La femme qui est véritablement amoureuse ne se soucie pas qu’on lui tue son amant, elle préfère le quitter, gagner du temps ; elle préfère surtout ne pas se faire tuer elle-même. On est diablement brutal dans cette chère maison de Guise.
– Ah ! tu peux avoir raison.
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– C’est bien heureux.
– Oui, et je commence à croire que Mayenne reviendra ; mais toi, toi, Chicot, tu n’es pas une femme peureuse ou amoureuse ?
– Moi, Henri, je suis un homme prudent, un homme qui ai un compte ouvert avec M. de Mayenne, une partie engagée : s’il me trouve, il voudra recommencer encore ; il est joueur à faire frémir, ce bon M. de Mayenne !
– Eh bien ?
– Eh bien ! il jouera si bien que je recevrai un coup de couteau.
– Bah ! je connais mon Chicot, il ne reçoit pas sans rendre.
– Tu as raison, je lui en rendrai dix dont il crèvera.
– Tant mieux, voilà la partie finie.
– Tant pis, morbleu ! au contraire : tant pis, la famille poussera des cris affreux, tu auras toute la Ligue sur les bras, et quelque beau matin tu me diras : Chicot, mon ami, excuse-moi, mais je suis obligé de te faire rouer.
– Je dirai cela ?
– Tu diras cela, et même, ce qui est bien pis, tu le feras, grand roi. J’aime donc mieux que cela tourne autrement, comprends-tu ? Je ne suis pas mal comme je suis, j’ai envie de m’y tenir. Vois-tu, toutes ces progressions arithmétiques, appliquées à la rancune, me paraissent dangereuses ; j’irai donc en Navarre, si tu veux bien m’y envoyer.
– Sans doute, je le veux.
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– J’attends tes ordres, gracieux prince.
Et Chicot, prenant la même pose que Joyeuse, attendit.
– Mais, dit le roi, tu ne sais pas si la mission te conviendra.
– Du moment où je te la demande.
– C’est que, vois-tu, Chicot, dit Henri, j’ai certains projets de brouille entre Margot et son mari.
– Diviser pour régner, dit Chicot ; il y a déjà cent ans que c’était l’A B C de la politique.
– Ainsi tu n’as aucune répugnance ?
– Est-ce que cela me regarde ? répondit Chicot ; tu feras ce que tu voudras, grand prince. Je suis ambassadeur, voilà tout ; tu n’as pas de comptes à me rendre, et pourvu que je sois inviolable… oh ! quant à cela, tu comprends, j’y tiens.
– Mais encore, dit Henri, faut-il que tu saches ce que tu diras à mon beau-frère.