Les Quarante-cinq. Tome I | страница 107




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– Veuillez me pardonner, sire, balbutia Joyeuse, mais je suis encore plus mauvais courtisan que mauvais marin, et je comprends que Votre Majesté regrette ce qu’elle a fait pour moi.


Et il sortit, en fermant la porte avec violence, derrière la tapisserie qui se gonfla, repoussée par le vent.


– Voilà donc comme m’aiment ceux pour lesquels j’ai tant fait ! s’écria le roi. Ah ! Joyeuse ! ingrat Joyeuse !


– Eh bien ! ne vas-tu pas le rappeler ? dit Chicot en s’avançant vers le lit. Quoi ! parce que par hasard tu as eu un peu de volonté, voilà que tu te repens.


– Écoute donc, répondit le roi, tu es charmant, toi ! crois-tu qu’il soit agréable d’aller au mois d’octobre recevoir la pluie et le vent sur la mer ? je voudrais bien t’y voir, égoïste !


– Libre à toi, grand roi, libre à toi.


– De te voir par vaux et par chemins.


– Par vaux et par chemins ; c’est en ce moment-ci mon désir le plus vif que de voyager.


– Ainsi, si je t’envoyais quelque part, comme je viens d’envoyer Joyeuse, tu accepterais ?


– Non seulement j’accepterais, mais je postule, j’implore.


– Une mission ?


– Une mission.


– Tu irais en Navarre ?


– J’irais au diable, grand roi !


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– Railles-tu, bouffon ?


– Sire, je n’étais pas déjà trop gai pendant ma vie, et je vous jure que je suis bien plus triste depuis ma mort.


– Mais tu refusais tout à l’heure de quitter Paris.


– Mon gracieux souverain, j’avais tort, très grand tort, et je me repens.


– De sorte que tu désires quitter Paris maintenant ?


– Tout de suite, illustre roi, à l’instant même, grand monarque !


– Je ne comprends plus, dit Henri.


– Tu n’as donc pas entendu les paroles du grand-amiral de France ?


– Lesquelles ?


– Celles où il t’a annoncé sa rupture avec la maîtresse de M. de Mayenne.


– Oui ; eh bien, après ?


– Si cette femme, amoureuse d’un charmant garçon comme le duc, car il est charmant, Joyeuse…


– Sans doute.


– Si cette femme le congédie en soupirant, c’est qu’elle a un motif.


– Probablement ; sans cela elle ne le congédierait pas.


– Eh bien, ce motif, le sais-tu ?

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– Non.


– Tu ne le devines pas ?


– Non.


– C’est que M. de Mayenne va revenir.


– Oh ! oh ! fit le roi.


– Tu comprends enfin, je t’en félicite.


– Oui, je comprends ; mais cependant…


– Cependant ?


– Je ne trouve pas ta raison très forte.


– Donne-moi les tiennes, Henri, je ne demande pas mieux que de les trouver excellentes, donne.


– Pourquoi cette femme ne romprait-elle pas avec Mayenne, au lieu de renvoyer Joyeuse ? Crois-tu que Joyeuse ne lui en saurait pas assez de gré pour conduire M. de Mayenne au Pré-aux-Clercs et lui trouer son gros ventre ? Il a l’épée mauvaise, notre Joyeuse.