Les Quarante-cinq. Tome I | страница 104




– Je le lui souhaite, dit Henri ; mais laissons du Bouchage, puisqu’il serait si gênant pour lui de quitter Paris en ce moment ; il n’est pas indispensable pour moi que ce soit lui qui accomplisse cette mission ; mais j’espère que toi, qui donnes de si bons conseils, tu ne t’es pas fait esclave, comme lui, de quelque belle passion ?


– Moi ! s’écria Joyeuse, je n’ai jamais été si parfaitement libre de ma vie.


– C’est à merveille ; ainsi tu n’as rien à faire ?


– Absolument rien, sire.


– Mais je te croyais en sentiment avec une belle dame ?


– Ah ! oui, la maîtresse de M. de Mayenne ; une femme qui m’adorait.


– Eh bien !


– Eh bien, imaginez-vous que ce soir, après avoir fait la leçon à du Bouchage, je le quitte pour aller chez elle ; j’arrive la tête échauffée par les théories que je viens de développer ; je vous jure, sire, que je me croyais presque aussi amoureux que Henri ; voilà que je trouve une femme tremblante, effarée ; la première idée qui m’arrive est que je dérange quelqu’un ; j’essaie de la rassurer, inutile ; je l’interroge, elle ne répond point : je veux l’embrasser, elle détourne la tête, et comme je fronçais le sourcil, elle se fâche, se lève, nous nous querellons et

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elle m’avertit qu’elle ne sera plus jamais chez elle lorsque je m’y présenterai.


– Pauvre Joyeuse, dit le roi en riant, et qu’as-tu fait ?


– Pardieu ! sire, j’ai pris mon épée et mon manteau, j’ai fait un beau salut et je suis sorti sans regarder en arrière.


– Bravo, Joyeuse ! c’est courageux ! dit le roi.


– D’autant plus courageux, sire, qu’il me semblait l’entendre soupirer, la pauvre fille.


– Ne vas-tu pas te repentir de ton stoïcisme ? dit Henri.


– Non, sire ; si je me repentais un seul instant j’y courrais bien vite, vous comprenez… mais rien ne m’ôtera de l’idée que la pauvre femme me quitte malgré elle.


– Et cependant tu es parti ?


– Me voilà.


– Et tu n’y retourneras point ?


– Jamais… Si j’avais le ventre de M. de Mayenne, je ne dis pas ; mais je suis mince, j’ai le droit d’être fier.


– Mon ami, dit sérieusement Henri, c’est bien heureux pour ton salut, cette rupture-là.


– Je ne dis pas non, sire ; mais, en attendant, je vais m’ennuyer cruellement pendant huit jours, n’ayant plus rien à faire, ne sachant plus que devenir ; aussi m’a-t-il poussé des idées de paresse délicieuses ; c’est amusant de s’ennuyer, vrai…

je n’en avais pas l’habitude, et je trouve cela distingué.