Les Quarante-cinq. Tome I | страница 105
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– Je crois bien que c’est distingué, dit le roi ; j’ai mis la chose à la mode.
– Or, voilà mon plan, sire ; je l’ai fait tout en revenant du parvis Notre-Dame au Louvre. Je me rendrai tous les jours ici en litière ; Votre Majesté dira ses oraisons, moi je lirai des livres d’alchimie ou de marine, ce qui vaudra encore mieux, puisque je suis marin. J’aurai de petits chiens que je ferai jouer avec les vôtres, ou plutôt de petits chats, c’est plus gracieux ; ensuite nous mangerons de la crème et M. d’Épernon nous fera des contes. Je veux engraisser aussi, moi ; puis, quand la femme de du Bouchage sera de triste devenue gaie, nous en chercherons une autre qui de gaie devienne triste ; cela nous changera ; mais, tout cela sans bouger, sire : on n’est décidément bien qu’assis, et très bien couché. Oh ! les bons coussins, sire ! on voit bien que les tapissiers de Votre Majesté travaillent pour un roi qui s’ennuie.
– Fi donc ! Anne, dit le roi.
– Quoi ! fi donc !
– Un homme de ton âge et de ton rang devenir paresseux et gras ; les laides idées !
– Je ne trouve pas, sire.
– Je veux t’occuper à quelque chose, moi.
– Si c’est ennuyeux, je le veux bien.
Un troisième grognement se fit entendre : on eût dit que le chien riait des paroles que venait de prononcer Joyeuse.
– Voilà un chien bien intelligent, dit Henri ; il devine ce que je veux te faire faire.
– Que voulez-vous me faire faire, sire ? voyons un peu cela.
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– Tu vas te botter.
Joyeuse fit un mouvement de terreur.
– Oh ! non, ne me demandez pas cela, sire ; c’est contre toutes mes idées.
– Tu vas monter à cheval.
Joyeuse fit un bond.
– À cheval ! non pas, je ne vais plus qu’en litière ; Votre Majesté n’a donc pas entendu ?
– Voyons, Joyeuse, trêve de raillerie, tu m’entends ? tu vas te botter et monter à cheval.
– Non, sire, répondit le duc avec le plus grand sérieux, c’est impossible.
– Et pourquoi cela, impossible ? demanda Henri avec colère.
– Parce que… parce que… je suis amiral.
– Eh bien ?
– Et que les amiraux ne montent pas à cheval.
– Ah ! c’est comme cela ! fit Henri.
Joyeuse répondit par un de ces signes de tête comme les enfants en font lorsqu’ils sont assez obstinés pour ne pas répondre.
– Eh bien ! soit, monsieur l’amiral de France ; vous n’irez pas à cheval : vous avez raison, ce n’est pas l’état d’un marin
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d’aller à cheval ; mais c’est l’état d’un marin d’aller en bateau et en galère ; vous vous rendrez donc à l’instant même à Rouen, en bateau ; à Rouen, vous trouverez votre galère amirale : vous la monterez immédiatement et vous ferez appareiller pour Anvers.