Les Quarante-cinq. Tome I | страница 102
– Mais oui,
sire,
fort bien ;
merci,
répondit
nonchalamment le duc.
– Comme vous avez disparu vite là-bas à la Grève ?
– Écoutez, sire, franchement c’était peu récréatif ; et puis je n’aime pas à voir souffrir les hommes.
– Cœur miséricordieux !
– Non, cœur égoïste… la souffrance d’autrui me prend sur les nerfs.
– Tu sais ce qui s’est passé ?
– Où cela, sire ?
– En Grève.
– Ma foi, non.
– 210 –
– Salcède a nié.
– Ah !
– Vous prenez cela bien indifféremment, Joyeuse.
– Moi ?
– Oui.
– Je vous avoue, sire, que je n’ajoutais pas grande importance à ce qu’il pouvait dire ; d’ailleurs, j’étais sûr qu’il nierait.
– Mais puisqu’il a avoué.
– Raison de plus. Les premiers aveux ont mis les Guises sur leur garde ; ils ont travaillé pendant que Votre Majesté restait tranquille : c’était forcé, cela.
– Comment ! tu prévois de pareilles choses, et tu ne me les dis pas ?
– Est-ce que je suis ministre, moi, pour parler politique ?
– Laissons cela, Joyeuse.
– Sire…
– J’aurais besoin de ton frère.
– Mon frère comme moi, sire, est tout au service de Votre Majesté.
– Je puis donc compter sur lui ?
– Sans doute.
– 211 –
– Eh bien ! je veux le charger d’une petite mission.
– Hors de Paris ?
– Oui.
– En ce cas, impossible, sire.
– Comment cela ?
– Du Bouchage ne peut se déplacer en ce moment.
Henri se souleva sur son coude et regarda Joyeuse en ouvrant de grands yeux.
– Qu’est-ce à dire ? fit-il.
Joyeuse supporta le regard interrogateur du roi avec la plus grande sérénité.
– Sire, dit-il, c’est la chose du monde la plus facile à comprendre. Du Bouchage est amoureux, seulement il avait mal entamé les négociations amoureuses ; il faisait fausse route, de sorte que le pauvre enfant maigrissait, maigrissait…
– En effet, dit le roi, je l’ai remarqué.
– Et devenait sombre, sombre, mordieu ! comme s’il eût vécu à la cour de Votre Majesté.
Un certain grognement, parti du coin de la cheminée, interrompit Joyeuse qui regarda tout étonné autour de lui.
– Ne fais pas attention, Anne, dit Henri en riant, c’est quelque chien qui rêve sur un fauteuil. Tu disais donc, mon ami, que ce pauvre du Bouchage devenait triste.
– 212 –
– Oui, sire, triste comme la mort : il paraît qu’il a rencontré de par le monde une femme d’humeur funèbre ; c’est terrible, ces rencontres-là. Toutefois, avec ce genre de caractère, on réussit tout aussi bien qu’avec les femmes rieuses ; le tout est de savoir s’y prendre.
– Ah ! tu n’aurais pas été embarrassé, toi, libertin !