Les Quarante-cinq. Tome I | страница 101
pour une mission de cette importance ?
– Dame !…
– Ah ! j’y songe.
– Moi aussi.
– Vas-y, toi, Chicot.
– Que j’aille en Flandre, moi ?
– Pourquoi pas ?
– Un mort aller en Flandre ! allons donc !
– Puisque tu n’es plus Chicot, puisque tu es Robert Briquet.
– Bon ! un bourgeois, un ligueur, un ami de M. de Guise, faisant les fonctions d’ambassadeur près de M. le duc d’Anjou.
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– C’est-à-dire que tu refuses ?
– Pardieu !
– Que tu me désobéis ?
– Moi, te désobéir ! Est-ce que je te dois obéissance ?
– Tu ne me dois pas obéissance, malheureux ?
– M’as-tu jamais rien donné qui m’engage avec toi ? Le peu que j’ai me vient d’héritage. Je suis gueux et obscur. Fais-moi duc et pair, érige en marquisat ma terre de la Chicoterie ; dote-moi de cinq cent mille écus, et alors nous causerons ambassade.
Henri allait répondre et trouver une de ces bonnes raisons comme en trouvent toujours les rois quand on leur fait de semblables reproches, lorsqu’on entendit grincer sur sa tringle la massive portière de velours.
– M. le duc de Joyeuse ! dit la voix de l’huissier.
– Eh ! ventre de biche ! voilà ton affaire ! s’écria Chicot.
Trouve-moi un ambassadeur pour te représenter mieux que ne le fera messire Anne, je t’en défie !
– Au fait, murmura Henri, décidément ce diable d’homme est de meilleur conseil que ne l’a jamais été aucun de mes ministres.
– Ah ! tu en conviens donc ? dit Chicot.
Et il se renfonça dans son fauteuil en prenant la forme d’une boule, de sorte que le plus habile marin du royaume, accoutumé à distinguer le moindre point des lignes de l’horizon, n’eût pu distinguer une saillie au-delà des sculptures du grand fauteuil dans lequel il était enseveli.
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M. de Joyeuse avait beau être grand-amiral de France, il n’y voyait pas plus qu’un autre.
Le roi poussa un cri de joie en apercevant son jeune favori, et lui tendit la main.
– Assieds-toi, Joyeuse, mon enfant, lui dit-il. Mon Dieu !
que tu viens tard.
– Sire, répondit Joyeuse, Votre Majesté est bien obligeante de s’en apercevoir.
Et le duc, s’approchant de l’estrade du lit, s’assit sur les coussins fleurdelisés épars à cet effet sur les marches de cette estrade.
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XV
De la difficulté qu’a un roi de trouver debons ambassadeurs
Chicot, toujours invisible dans son fauteuil ; Joyeuse, à demi couché sur les coussins ; Henri, moelleusement pelotonné dans son lit, la conversation commença.
– Eh bien ! Joyeuse, demanda Henri, avez-vous bien vagabondé par la ville ?