Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 9
Eh bien ! à son retour d’Angleterre, je les marierai puisqu’ils s’aiment.
– En vérité, je reconnais là toute la générosité du roi.
– Tiens, Saint-Aignan, crois-moi, ne nous occupons plus de ces sortes de choses, dit Louis.
– Oui, digérons l’affront, Sire, dit le courtisan résigné.
– Au reste, ce sera chose facile, fit le roi en modulant un soupir.
– Et pour commencer, moi… dit Saint-Aignan.
– Eh bien ?
– Eh bien ! je vais faire quelque bonne épigramme sur le trio.
J’appellerai cela : Naïade et Dryade ; cela fera plaisir à Madame.
– Fais, Saint-Aignan, fais, murmura le roi. Tu me liras tes vers, cela me distraira. Ah ! n’importe, n’importe, Saint-Aignan, ajouta le
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roi comme un homme qui respire avec peine, le coup demande une force surhumaine pour être dignement soutenu.
Et, comme le roi achevait ainsi en se donnant les airs de la plus angélique patience, un des valets de service vint gratter à la porte de la chambre.
De Saint-Aignan s’écarta par respect.
– Entrez, fit le roi.
Le valet entrebâilla la porte.
– Que veut-on ? demanda Louis.
Le valet montra une lettre pliée en forme de triangle.
– Pour Sa Majesté, dit-il.
– De quelle part ?
– Je l’ignore ; il a été remis par un des officiers de service.
Le roi fit signe, le valet apporta le billet.
Le roi s’approcha des bougies, ouvrit le billet, lut la signature et laissa échapper un cri.
Saint-Aignan était assez respectueux pour ne pas regarder ; mais, sans regarder, il voyait et entendait.
Il accourut.
Le roi, d’un geste, congédia le valet.
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– Oh ! mon Dieu ! fit le roi en lisant.
– Votre Majesté se trouve-t-elle indisposée ? demanda Saint-Aignan les bras étendus.
– Non, non, Saint-Aignan ; lis !
Et il lui passa le billet.
Les yeux de Saint-Aignan se portèrent à la signature.
– La Vallière ! s’écria-t-il. Oh ! Sire !
– Lis ! lis !
Et Saint-Aignan lut :
«
Sire, pardonnez-moi mon importunité, pardonnez-moi surtout le défaut de formalités qui accompagne cette lettre ; un billet me semble plus pressé et plus pressant qu’une dépêche ; je me permets donc d’adresser un billet à Votre Majesté.
Je rentre chez moi brisée de douleur et de fatigue, Sire, et j’implore de Votre Majesté la faveur d’une audience dans laquelle je pourrai dire la vérité à mon roi.
Signé : Louise de La Vallière. »
– Eh bien ? demanda le roi en reprenant la lettre des mains de Saint Aignan tout étourdi de ce qu’il venait de lire.
– Eh bien ? répéta Saint-Aignan.
– Que penses-tu de cela ?