Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 8




Il est vrai que Saint-Aignan était tapi dans un coin, et de ce coin regardait passer la tempête.


Son désappointement à lui paraissait misérable à côté de la colère royale.


Il comparait à son petit amour-propre l’immense orgueil de ce roi offensé, et, connaissant le cœur des rois en général et celui des puissants en particulier, il se demandait si bientôt ce poids de fureur, suspendu jusque-là sur le vide, ne finirait point par tomber sur lui, par cela même que d’autres étaient coupables et lui innocent.


En effet, tout à coup le roi s’arrêta dans sa marche immodérée, et, fixant sur de Saint-Aignan un regard courroucé.

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– Et toi, de Saint-Aignan ? s’écria-t-il.


De Saint-Aignan fit un mouvement qui signifiait :


– Eh bien ! Sire ?


– Oui, tu as été aussi sot que moi, n’est-ce pas ?


– Sire, balbutia de Saint-Aignan.


– Tu t’es laissé prendre à cette grossière plaisanterie.


– Sire, dit de Saint-Aignan, dont le frisson commençait à secouer les membres, que Votre Majesté ne se mette point en colère : les femmes, elle le sait, sont des créatures imparfaites créées pour le mal ; donc, leur demander le bien c’est exiger d’elles la chose impossible.


Le roi, qui avait un profond respect de lui-même, et qui commençait à prendre sur ses passions cette puissance qu’il conserva sur elles toute sa vie, le roi sentit qu’il se déconsidérait à montrer tant d’ardeur pour un si mince objet.


– Non, dit-il vivement, non, tu te trompes, Saint-Aignan, je ne me mets pas en colère ; j’admire seulement que nous ayons été joués avec tant d’adresse et d’audace par ces deux petites filles.

J’admire surtout que, pouvant nous instruire, nous ayons fait la folie de nous en rapporter à notre propre cœur.


– Oh ! le cœur, Sire, le cœur, c’est un organe qu’il faut absolument réduire à ses fonctions physiques, mais qu’il faut destituer de toutes fonctions morales. J’avoue, quant à moi, que, lorsque j’ai vu le cœur de Votre Majesté si fort préoccupé de cette petite…


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– Préoccupé, moi ? mon cœur préoccupé ? Mon esprit, peut-

être ; mais quant à mon cœur… il était…


Louis s’aperçut, cette fois encore, que pour couvrir un vide, il en allait découvrir un autre.


– Au reste, ajouta-t-il, je n’ai rien à reprocher à cette enfant. Je savais qu’elle en aimait un autre.


– Le vicomte de Bragelonne, oui. J’en avais prévenu Votre Majesté.


– Sans doute. Mais tu n’étais pas le premier. Le comte de La Fère m’avait demandé la main de Mlle de La Vallière pour son fils.