Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 4
Avec ces grandes amours, sentant leur loyauté et leur toute-puissance, ayant en quelque sorte leur étiquette et leur ostentation, un roi, non seulement ne dérogeait point, mais encore trouvait repos, sécurité, mystère et respect général.
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Dans l’abaissement des vulgaires amours, au contraire, il rencontrait, même chez les plus humbles sujets, la glose et le sarcasme ; il perdait son caractère d’infaillible et d’inviolable.
Descendu dans la région des petites misères humaines, il en subissait les pauvres orages.
En un mot, faire du roi-dieu un simple mortel en le touchant au cœur, ou plutôt même au visage, comme le dernier de ses sujets, c’était porter un coup terrible à l’orgueil de ce sang généreux : on captivait Louis plus encore par l’amour-propre que par l’amour.
Madame avait sagement calculé sa vengeance ; aussi, comme on l’a vu, s’était-elle vengée.
Qu’on n’aille pas croire cependant que Madame eût les passions terribles des héroïnes du Moyen Age et qu’elle vît les choses sous leur aspect sombre ; Madame, au contraire, jeune, gracieuse, spirituelle, coquette, amoureuse, plutôt de fantaisie, d’imagination ou d’ambition que de cœur ; Madame, au contraire, inaugurait cette époque de plaisirs faciles et passagers qui signala les cent vingt ans qui s’écoulèrent entre la moitié du XVIIe siècle et les trois quarts du XVIIIe.
Madame voyait donc, ou plutôt croyait voir les choses sous leur véritable aspect ; elle savait que le roi, son auguste beau-frère, avait ri le premier de l’humble La Vallière, et que, selon ses habitudes, il n’était pas probable qu’il adorât jamais la personne dont il avait pu rire, ne fût-ce qu’un instant.
D’ailleurs, l’amour-propre n’était-il pas là, ce démon souffleur qui joue un si grand rôle dans cette comédie dramatique qu’on appelle la vie d’une femme ; l’amour-propre ne disait-il point tout haut, tout bas, à demi-voix, sur tous les tons possibles, qu’elle ne pouvait véritablement, elle, princesse, jeune, belle, riche, être comparée à la pauvre La Vallière, aussi jeune qu’elle, c’est vrai, mais bien moins jolie, mais tout à fait pauvre ? Et que cela n’étonne point de la part de Madame ; on le sait, les plus grands caractères sont
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ceux qui se flattent le plus dans la comparaison qu’ils font d’eux aux autres, des autres à eux.
Peut-être demandera-t-on ce que voulait Madame avec cette attaque si savamment combinée
? Pourquoi tant de forces