Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 5



déployées, s’il ne s’agissait de débusquer sérieusement le roi d’un cœur tout neuf dans lequel il comptait se loger ! Madame avait-elle donc besoin de donner une pareille importance à La Vallière, si elle ne redoutait pas La Vallière ?


Non, Madame ne redoutait pas La Vallière, au point de vue où un historien qui sait les choses voit l’avenir, ou plutôt le passé ; Madame n’était point un prophète ou une sibylle ; Madame ne pouvait pas plus qu’un autre lire dans ce terrible et fatal livre de l’avenir qui garde en ses plus secrètes pages les plus sérieux événements.


Non, Madame voulait purement et simplement punir le roi de lui avoir fait une cachotterie toute féminine ; elle voulait lui prouver clairement que s’il usait de ce genre d’armes offensives, elle, femme d’esprit et de race, trouverait certainement dans l’arsenal de son imagination des armes défensives à l’épreuve même des coups d’un roi.


Et d’ailleurs, elle voulait lui prouver que, dans ces sortes de guerre, il n’y a plus de rois, ou tout au moins que les rois, combattant pour leur propre compte comme des hommes ordinaires, peuvent voir leur couronne tomber au premier choc ; qu’enfin, s’il avait espéré être adoré tout d’abord, de confiance, à son seul aspect, par toutes les femmes de sa cour, c’était une prétention humaine, téméraire, insultante pour certaines plus haut placées que les autres, et que la leçon, tombant à propos sur cette tête royale, trop haute et trop fière, serait efficace.


Voilà certainement quelles étaient les réflexions de Madame à l’égard du roi.


– 8 –


L’événement restait en dehors.


Ainsi, l’on voit qu’elle avait agi sur l’esprit de ses filles d’honneur et avait préparé dans tous ses détails la comédie qui venait de se jouer.


Le roi en fut tout étourdi. Depuis qu’il avait échappé à M. de Mazarin, il se voyait pour la première fois traité en homme.


Une pareille sévérité, de la part de ses sujets, lui eût fourni matière à résistance. Les pouvoirs croissent dans la lutte.


Mais s’attaquer à des femmes, être attaqué par elles, avoir été joué par de petites provinciales arrivées de Blois tout exprès pour cela, c’était le comble du déshonneur pour un jeune roi plein de la vanité que lui inspiraient à la fois et ses avantages personnels et son pouvoir royal.


Rien à faire, ni reproches, ni exil, ni même bouderies.


Bouder, c’eût été avouer qu’on avait été touché, comme Hamlet, par une arme démouchetée, l’arme du ridicule.