Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 34



Laissez-moi, Sire, dans ma médiocrité ; laissez à tous les sentiments que je puis ressentir la joyeuse délicatesse du désintéressement.


– Oh ! voilà un langage bien admirable, dit le roi.


– C’est vrai, murmura Aramis à l’oreille de Fouquet, et il n’y doit pas être habitué.


– Mais, répondit Fouquet, si elle fait une pareille réponse à mon billet ?


– Bon ! dit Aramis, ne préjugeons pas et attendons la fin.


– Et puis, cher monsieur d’Herblay, ajouta le surintendant, peu payé pour croire à tous les sentiments que venait d’exprimer La Vallière, c’est un habile calcul souvent que de paraître désintéressé avec les rois.


– C’est justement ce que je pensais à la minute, dit Aramis.

Écoutons.


Le roi se rapprocha de La Vallière, et, comme l’eau filtrait de plus en plus à travers le feuillage du chêne, il tint son chapeau suspendu au-dessus de la tête de la jeune fille.


La jeune fille leva ses beaux yeux bleus vers ce chapeau royal qui l’abritait et secoua la tête en poussant un soupir.


– Oh ! mon Dieu, dit le roi, quelle triste pensée peut donc parvenir jusqu’à votre cœur quand je lui fais un rempart du mien ?

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– Sire, je vais vous le dire. J’avais déjà abordé cette question, si difficile à discuter par une jeune fille de mon âge, mais Votre Majesté m’a imposé silence. Sire, Votre Majesté ne s’appartient pas ; Sire, Votre Majesté est mariée ; tout sentiment qui écarterait Votre Majesté de la reine, en portant Votre Majesté à s’occuper de moi, serait pour la reine la source d’un profond chagrin.


Le roi essaya d’interrompre la jeune fille, mais elle continua avec un geste suppliant :


– La reine aime Votre Majesté avec une tendresse qui se comprend, la reine suit des yeux Votre Majesté à chaque pas qui l’écarte d’elle. Ayant eu le bonheur de rencontrer un tel époux, elle demande au Ciel avec des larmes de lui en conserver la possession, et elle est jalouse du moindre mouvement de votre cœur.


Le roi voulut parler encore, mais cette fois encore La Vallière osa l’arrêter.


– Ne serait-ce pas une bien coupable action, lui dit-elle, si, voyant une tendresse si vive et si noble, Votre Majesté donnait à la reine un sujet de jalousie ? oh ! pardonnez-moi ce mot, Sire. Oh !

mon Dieu ! je sais bien qu’il est impossible, ou plutôt qu’il devrait être impossible que la plus grande reine du monde fût jalouse d’une pauvre fille comme moi. Mais elle est femme, cette reine, et, comme celui d’une simple femme, son cœur peut s’ouvrir à des soupçons que les méchants envenimeraient. Au nom du Ciel ! Sire, ne vous occupez donc pas de moi, je ne le mérite pas.