Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 35




– Oh ! mademoiselle, s’écria le roi, vous ne songez donc point qu’en parlant comme vous le faites vous changez mon estime en admiration.


– Sire, vous prenez mes paroles pour ce qu’elles ne sont point ; vous me voyez meilleure que je ne suis ; vous me faites plus grande que Dieu ne m’a faite. Grâce pour moi, Sire ! car, si je ne savais le

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roi le plus généreux homme de son royaume, je croirais que le roi veut se railler de moi.


– Oh ! certes ! vous ne craignez pas une pareille chose, j’en suis bien certain, s’écria Louis.


– Sire, je serais forcée de le croire si le roi continuait à me tenir un pareil langage.


– Je suis donc un bien malheureux prince, dit le roi avec une tristesse qui n’avait rien d’affecté, le plus malheureux prince de la chrétienté, puisque je n’ai pas pouvoir de donner créance à mes paroles devant la personne que j’aime le plus au monde et qui me brise le cœur en refusant de croire à mon amour.


– Oh ! Sire, dit La Vallière, écartant doucement le roi, qui s’était de plus en plus rapproché d’elle, voilà, je crois, l’orage qui se calme et la pluie qui cesse.


Mais, au moment même où la pauvre enfant, pour fuir son pauvre cœur, trop d’accord sans doute avec celui du roi, prononçait ces paroles, l’orage se chargeait de lui donner un démenti ; un éclair bleuâtre illumina la forêt d’un reflet fantastique, et un coup de tonnerre pareil à une décharge d’artillerie éclata sur la tête des deux jeunes gens, comme si la hauteur du chêne qui les abritait eût provoqué le tonnerre.


La jeune fille ne put retenir un cri d’effroi.


Le roi d’une main la rapprocha de son cœur et étendit l’autre au-dessus de sa tête comme pour la garantir de la foudre.


Il y eut un moment de silence où ce groupe, charmant comme tout ce qui est jeune et aimé, demeura immobile, tandis que Fouquet et Aramis le contemplaient, non moins immobiles que La Vallière et le roi.

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– Oh ! Sire ! Sire ! murmura La Vallière, entendez-vous ?


Et elle laissa tomber sa tête sur son épaule.


– Oui, dit le roi, vous voyez bien que l’orage ne passe pas.


– Sire, c’est un avertissement.


Le roi sourit.


– Sire, c’est la voix de Dieu qui menace.


– Eh bien ! dit le roi, j’accepte effectivement ce coup de tonnerre pour un avertissement et même pour une menace, si d’ici à cinq minutes il se renouvelle avec une pareille force et une égale violence ; mais, s’il n’en est rien, permettez-moi de penser que l’orage est l’orage et rien autre chose.