Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 22
– Mais si, au contraire, vous venez de le dire.
– Je n’ai pas dit le roi. J’ai dit un roi.
– N’est-ce pas tout un ?
– Au contraire, c’est fort différent.
– Je ne comprends pas.
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– Vous allez comprendre. Supposez que ce roi soit un autre homme que Louis XIV.
– Un autre homme ?
– Oui, qui tienne tout de vous.
– Impossible !
– Même son trône.
– Oh ! vous êtes fou ! Il n’y a pas d’autre homme que le roi Louis XIV qui puisse s’asseoir sur le trône de France, je n’en vois pas, pas un seul.
– J’en vois un, moi.
– À moins que ce ne soit Monsieur, dit Fouquet en regardant Aramis avec inquiétude… Mais Monsieur…
– Ce n’est pas Monsieur.
– Mais comment voulez-vous qu’un prince qui ne soit pas de la race, comment voulez-vous qu’un prince qui n’aura aucun droit…
– Mon roi à moi, ou plutôt votre roi à vous, sera tout ce qu’il faut qu’il soit, soyez tranquille.
– Prenez garde, prenez garde, monsieur d’Herblay, vous me donnez le frisson, vous me donnez le vertige.
Aramis sourit.
– Vous avez le frisson et le vertige à peu de frais, répliqua-t-il.
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– Oh ! encore une fois, vous m’épouvantez.
Aramis sourit.
– Vous riez ? demanda Fouquet.
– Et, le jour venu, vous rirez comme moi ; seulement, je dois maintenant être seul à rire.
– Mais expliquez-vous.
– Au jour venu, je m’expliquerai, ne craignez rien. Vous n’êtes pas plus saint Pierre que je ne suis Jésus, et je vous dirai pourtant :
« Homme de peu de foi, pourquoi doutez-vous ? »
– Eh ! mon Dieu ! je doute… je doute, parce que je ne vois pas.
– C’est qu’alors vous êtes aveugle : je ne vous traiterai donc plus en saint Pierre, mais en saint Paul, et je vous dirai : « Un jour viendra où tes yeux s’ouvriront. »
– Oh ! dit Fouquet que je voudrais croire !
– Vous ne croyez pas ! vous à qui j’ai fait dix fois traverser l’abîme où seul vous vous fussiez engouffré ; vous ne croyez pas, vous qui de procureur général êtes monté au rang d’intendant, du rang d’intendant au rang de premier ministre, et qui du rang de premier ministre passerez à celui de maire du palais. Mais, non, dit-il avec son éternel sourire… Non, non, vous ne pouvez voir, et, par conséquent vous ne pouvez croire cela.
Et Aramis se leva pour se retirer.
– Un dernier mot, dit Fouquet, vous ne m’avez jamais parlé ainsi, vous ne vous êtes jamais montré si confiant, ou plutôt si téméraire.
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– Parce que, pour parler haut, il faut avoir la voix libre.
– Vous l’avez donc ?
– Oui.
– Depuis peu de temps alors ?