Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 23
– Depuis hier.
– Oh ! monsieur d’Herblay, prenez garde, vous poussez la sécurité jusqu’à l’audace.
– Parce que l’on peut être audacieux quand on est puissant.
– Vous êtes puissant ?
– Je vous ai offert dix millions, je vous les offre encore.
Fouquet se leva troublé à son tour.
– Voyons, dit-il, voyons : vous avez parlé de renverser des rois, de les remplacer par d’autres rois. Dieu me pardonne ! mais voilà, si je ne suis fou, ce que vous avez dit tout à l’heure.
– Vous n’êtes pas fou, et j’ai véritablement dit cela tout à l’heure.
– Et pourquoi l’avez-vous dit ?
– Parce que l’on peut parler ainsi de trônes renversés et de rois créés, quand on est soi-même au-dessus des rois et des trônes… de ce monde.
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– Alors vous êtes tout-puissant ? s’écria Fouquet.
– Je vous l’ai dit et je vous le répète, répondit Aramis l’œil brillant et la lèvre frémissante.
Fouquet se rejeta sur son fauteuil et laissa tomber sa tête dans ses mains.
Aramis le regarda un instant comme eût fait l’ange des destinées humaines à l’égard d’un simple mortel.
– Adieu, lui dit-il, dormez tranquille, et envoyez votre lettre à La Vallière. Demain, nous nous reverrons, n’est-ce pas ?
– Oui, demain, dit Fouquet en secouant la tête comme un homme qui revient à lui ; mais où cela nous reverrons-nous ?
– À la promenade du roi, si vous voulez.
– Fort bien.
Et ils se séparèrent.
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Chapitre CXXXV – L'orage
Le lendemain, le jour s’était levé sombre et blafard, et, comme chacun savait la promenade arrêtée dans le programme royal, le regard de chacun, en ouvrant les yeux, se porta sur le ciel.
Au haut des arbres stationnait une vapeur épaisse et ardente qui avait à peine eu la force de s’élever à trente pieds de terre sous les rayons d’un soleil qu’on n’apercevait qu’à travers le voile d’un lourd et épais nuage.
Ce matin-là, pas de rosée. Les gazons étaient restés secs, les fleurs altérées. Les oiseaux chantaient avec plus de réserve qu’à l’ordinaire dans le feuillage immobile comme s’il était mort. Les murmures étranges, confus, pleins de vie, qui semblent naître et exister par le soleil, cette respiration de la nature qui parle incessante au milieu de tous les autres bruits, ne se faisait pas entendre : le silence n’avait jamais été si grand.
Cette tristesse du ciel frappa les yeux du roi lorsqu’il se mit à la fenêtre à son lever.
Mais, comme tous les ordres étaient donnés pour la promenade, comme tous les préparatifs étaient faits, comme, chose bien plus péremptoire, Louis comptait sur cette promenade pour répondre aux promesses de son imagination, et, nous pouvons même déjà le dire, aux besoins de son cœur, le roi décida sans hésitation que l’état du ciel n’avait rien à faire dans tout cela, que la promenade était décidée et que, quelque temps qu’il fît, la promenade aurait lieu.