Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 21
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Si vous daignez répondre à mon amour, mon amour vous prouvera sa reconnaissance en vous faisant à tout jamais libre et indépendante. »
Après avoir écrit, Fouquet regarda Aramis.
– Signez, dit celui-ci.
– Est-ce bien nécessaire ?
– Votre signature au bas de cette lettre vaut un million ; vous oubliez cela, mon cher surintendant.
Fouquet signa.
– Maintenant, par qui enverrez-vous la lettre ? demanda Aramis.
– Mais par un valet excellent.
– Dont vous êtes sûr ?
– C’est mon grison ordinaire.
– Très bien.
– Au reste, nous jouons, de ce côté-là, un jeu qui n’est pas lourd.
– Comment cela ?
– Si ce que vous dites est vrai des complaisances de la petite pour le roi et pour Madame, le roi lui donnera tout l’argent qu’elle peut désirer.
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– Le roi a donc de l’argent ? demanda Aramis.
– Dame ! il faut croire, il n’en demande plus.
– Oh ! il en redemandera, soyez tranquille.
– Il y a même plus, j’eusse cru qu’il me parlerait de cette fête de Vaux.
– Eh bien ?
– Il n’en a point parlé.
– Il en parlera.
– Oh ! vous croyez le roi bien cruel, mon cher d’Herblay.
– Pas lui.
– Il est jeune ; donc, il est bon.
– Il est jeune ; donc, il est faible ou passionné ; et M. Colbert tient dans sa vilaine main sa faiblesse ou ses passions.
– Vous voyez bien que vous le craignez.
– Je ne le nie pas.
– Alors, je suis perdu.
– Comment cela ?
– Je n’étais fort auprès du roi que par l’argent.
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– Après ?
– Et je suis ruiné.
– Non.
– Comment, non ? Savez-vous mes affaires mieux que moi ?
– Peut-être.
– Et cependant s’il demande cette fête ?
– Vous la donnerez.
– Mais l’argent ?
– En avez-vous jamais manqué ?
– Oh ! si vous saviez à quel prix je me suis procuré le dernier.
– Le prochain ne vous coûtera rien.
– Qui donc me le donnera ?
– Moi.
– Vous me donnerez six millions ?
– Oui.
– Vous, six millions ?
– Dix, s’il le faut.
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– En vérité, mon cher d’Herblay, dit Fouquet, votre confiance m’épouvante plus que la colère du roi.
– Bah !
– Qui donc êtes-vous ?
– Vous me connaissez, ce me semble.
– Je me trompe ; alors, que voulez-vous ?
– Je veux sur le trône de France un roi qui soit dévoué à M. Fouquet, et je veux que M. Fouquet me soit dévoué.
– Oh ! s’écria Fouquet en lui serrant la main, quant à vous appartenir, je vous appartiens bien ; mais, croyez-le bien, mon cher d’Herblay, vous vous faites illusion.
– En quoi ?
– Jamais le roi ne me sera dévoué.
– Je ne vous ai pas dit que le roi vous serait dévoué, ce me semble.