Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 20
– Le voici. Le roi, dit-on, a un caprice pour cette petite, à ce que l’on croit du moins.
– Et vous qui savez tout, vous savez autre chose ?
– Je sais que le roi a changé bien rapidement ; qu’avant-hier le roi était tout feu pour Madame ; qu’il y a déjà quelques jours, Monsieur s’est plaint de ce feu à la reine mère ; qu’il y a eu des brouilles conjugales, des gronderies maternelles.
– Comment savez-vous tout cela ?
– Je le sais, enfin.
– Eh bien ?
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– Eh bien ! à la suite de ces brouilles et de ces gronderies, le roi n’a plus adressé la parole, n’a plus fait attention à Son Altesse Royale.
– Après ?
– Après, il s’est occupé de Mlle de La Vallière. Mlle de La Vallière est fille d’honneur de Madame. Savez-vous ce qu’en amour on appelle un chaperon ?
– Sans doute.
– Eh bien ! Mlle de La Vallière est le chaperon de Madame.
Profitez de cette position. Vous n’avez pas besoin de cela. Mais enfin, l’amour-propre blessé rendra la conquête plus facile ; la petite aura le secret du roi et de Madame. Vous ne savez pas ce qu’un homme intelligent fait avec un secret.
– Mais comment arriver à elle ?
– Vous me demandez cela ? fit Aramis.
– Sans doute, je n’aurai pas le temps de m’occuper d’elle.
– Elle est pauvre, elle est humble, vous lui créerez une position : soit qu’elle subjugue le roi comme maîtresse, soit qu’elle ne se rapproche de lui que comme confidente, vous aurez fait une nouvelle adepte.
– C’est bien, dit Fouquet. Que ferons-nous à l’égard de cette petite ?
– Quand vous avez désiré une femme, qu’avez-vous fait, monsieur le surintendant ?
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– Je lui ai écrit. J’ai fait mes protestations d’amour. J’y ai ajouté mes offres de service, et j’ai signé Fouquet.
– Et nulle n’a résisté ?
– Une seule, dit Fouquet. Mais il y a quatre jours qu’elle a cédé comme les autres.
– Voulez-vous prendre la peine d’écrire ? dit Aramis à Fouquet en lui présentant une plume.
Fouquet la prit.
– Dictez, dit-il. J’ai tellement la tête occupée ailleurs, que je ne saurais trouver deux lignes.
– Soit, fit Aramis. Écrivez.
Et il dicta :
« Mademoiselle, je vous ai vue, et vous ne serez point étonnée que je vous aie trouvée belle.
Mais vous ne pouvez, faute d’une position digne de vous, que végéter à la Cour.
L’amour d’un honnête homme, au cas où vous auriez quelque ambition, pourrait servir d’auxiliaire à votre esprit et à vos charmes.
Je mets mon amour à vos pieds ; mais, comme un amour, si humble et si discret qu’il soit, peut compromettre l’objet de son culte, il ne sied pas qu’une personne de votre mérite risque d’être compromise sans résultat sur son avenir.